Vives tensions au procès des Balkany
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mai 13, 2019
Après sa demande de renvoi rejetée, la défense s’en prend au président du tribunal en appelant à sa récusation.
La requête en récusation du président est une arme lourde, à la précision aléatoire, rarement mise en œuvre, surtout d’entrée de jeu. C’est pourtant celle qu’ont choisi de dégainer, lundi, les avocats de Patrick Balkany, dès l’ouverture du procès devant le tribunal correctionnel de Paris.
Le maire (LR) de Levallois-Perret, 70 ans, costume et cravate bleus, cocarde à la boutonnière, est seul sur le banc des prévenus. Son épouse, Isabelle, qui a tenté de se suicider début mai, a produit un certificat médical: elle n’est pas en état de comparaître. «Elle a craqué, comme on dit»,explique Me Pierre-Olivier Sur. Qui, soudain, s’enflamme – il en fait même beaucoup – en évoquant «les seaux de vomi qu’on lui envoie à la gueule», et sollicite un renvoi. Selon lui, le plan de l’audience «prive la défense d’une partie de ses droits» : le président a, en effet, prévu d’examiner d’abord une affaire de fraude fiscale qui ne concerne que les époux, puis, une fois celle-ci mise en délibéré, un volet plus vaste, avec davantage de prévenus, de blanchiment aggravé et, pour Patrick Balkany, de corruption. Or les faits sont imbriqués, et il peut paraître étrange d’en avoir fait deux affaires au lieu d’une.
Me Éric Dupond-Moretti, qui, avec Me Antoine Vey, assiste l’élu des Hauts-de-Seine, sollicite aussi le renvoi, et révèle qu’il a déposé au parquet général une demande de dépaysement. Car, parmi les parties civiles, il a pointé l’association Anticor, dont l’un des membres les plus en vue, Éric Alt, est aussi vice-président du TGI. Le parquet s’oppose à tout. Le tribunal rejette tout.
Me Dupond-Moretti sollicite à nouveau la parole. À cet instant, il vise le président, Benjamin Blanchet: «Je vais vous demander de vous déporter, faute de quoi je saisirai le premier président de la cour d’appel d’une requête en récusation.» Le pénaliste a exhumé une décision rendue par le magistrat, le 15 septembre 2017. Ce jour-là, Benjamin Blanchet refuse d’homologuer une procédure de «plaider coupable» pourtant soutenue par le parquet. Le prévenu? Un député – comme Patrick Balkany au moment des faits visés par les deux préventions. Le délit? Fraude fiscale. La peine? Huit mois de prison avec sursis. La motivation du juge? Elle repose sur «la personnalité» du prévenu – sa qualité de parlementaire – et la nécessité de réprimer la fraude fiscale en tant qu’«enjeu majeur de l’action gouvernementale». «On pourrait lire cela sous la plume d’un préfet, pas sous celle d’un magistrat, gronde Me Dupond-Moretti, qui n’ignore sans doute pas que Blanchet fut sous-préfet. Cette décision fixe, au fond, une peine plancher. M. Balkany n’est pas serein, et il a raison: nous savons déjà ce que vous pensez.»
«Je ne me déporterai pas»
L’avocat reproche encore au président de s’être, sous casquette syndicale, «beaucoup exprimé» dans les médias sur les délits commis par des hommes politiques et leur répression. Insistant sur une proximité d’analyse troublante avec celles dont Éric Alt n’est pas avare, il en conclut que l’«impartialité objective» du président, telle que définie par la CEDH, n’est pas garantie. «Vous allez devoir déposer votre requête, je ne me déporterai pas», réplique, impassible, le magistrat. Cela promet, au cas où le premier président renvoie Mes Vey et Dupond-Moretti dans leurs cordes…
Pendant ce temps, Patrick Balkany bouillonne. Il brûle de lire les courriers que sa femme avait adressés aux juges d’instruction, n’attend qu’un signe pour donner de sa grosse voix et agiter sa cocarde sous le nez des juges. Mais, pour l’heure, il doit s’en tenir à son rôle de mari rongé d’angoisse et de justiciable inquiet. L’élu inoxydable qui, jadis, tourna dans quelques films, n’a apparemment aucune disposition pour le cinéma muet.