Vice-versa” : le grand retour de Pixar
Écrit par Jonathan PIRIOU sur juin 17, 2015
Oui, il y avait de grands films cette année à Cannes, au premier rang desquels ce nouveau Pixar, relégué hors compétition alors qu'il aurait eu sa place en haut du palmarès. Car "Vice-versa" est un enchantement, un classique instantané du niveau de ceux que le studio à la lampe enchaînait du temps de sa superbe (1995-2009) et qu'on ne le croyait plus capable de produire. C'était sans compter sur Pete Docter – "Là-haut" et "Monstres & Cie" –, son génie du concept fou et son cœur gros comme ça.
Le film met en scène les émotions qui s'agitent dans la tête de la petite Riley. Joie, Tristesse, Peur, Dégoût et Colère – chacun sa physionomie, chacun sa couleur (Colère est rouge, Dégoût, vert) – sont aux commandes du Quartier cérébral et gouvernent le quotidien de la fillette. A 11 ans, Riley, avec ses parents, déménage. Elle quitte la maison où elle a grandi pour la grande ville. Tout en elle est chamboulé. Tristesse est prise d'excès de zèle, Joie ne sait plus quoi faire. Un bug les propulse dans un recoin perdu de l'esprit de Riley. Pour rejoindre leurs postes, il va leur falloir traverser l'inconscient de la gamine. Pendant ce temps, Peur, Dégoût et Colère restent seuls aux commandes : bienvenue dans l'âge ingrat.
Freud, Dolto et Carroll réunis
Pete Docter part d'une idée digne d'un vieux sketch de Roland Magdane – celui où les organes du corps humain dialoguaient entre eux – qu'il transforme en défi de cinéma inouï : raconter l'entrée dans l'adolescence d'un point de vue tour à tour objectif et subjectif, basculer sans cesse entre l'extérieur et l'intérieur de la tête de Riley (et parfois même des personnages qui l'entourent). Traduire notre activité subconsciente en une aventure folle, un grand huit émotionnel. Freud, Françoise Dolto et Lewis Carroll réunis n'auraient pas fait mieux. Ainsi Joie et Tristesse tentent de survivre dans un monde en train de disparaître, celui de l'enfance de Riley, organisé comme un grand parc à thème dont les fondations s'écroulent à mesure qu'elle perd ses illusions.
Elles rencontrent Bing Bong, l'ami imaginaire abandonné, traversent la machine à rêves (un studio de cinéma), le monde des pensées abstraites (propice à un ébouriffant délire pictural). "Vice-versa" déploie des trésors d'imagination et superpose les niveaux de narration et de lecture (on peut y voir une métaphore du studio Pixar revisitant son glorieux passé pour garder le contrôle de nos émotions de spectateur) sans perdre de vue la fluidité de son récit. Son univers est si coloré, inventif, vertigineux que plusieurs visions ne suffiront pas à en épuiser les plaisirs. Ce n'est pas juste un divertissement familial à pleurer de rire ; c'est un film poignant sur la naissance de la mélancolie.