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Vent de colère dans la police

Écrit par sur octobre 18, 2016

La manifestation spontanée de centaines d'agents sur les Champs-Élysées, dans la nuit de lundi à mardi, a pris de court syndicats et autorités, révélant un malaise plus profond qu'on ne le dit.

C'est un mouvement spontané plutôt rare et qui en dit long. Des centaines de policiers défilant en pleine nuit dans leurs voitures de service, gyrophares allumés, sirènes hurlantes, sur les Champs-Élysées! Malgré les menaces de sanction de la hiérarchie. L'appel à la mobilisation a été relayé toute la journée de lundi sur des smartphones. Le soir même, les révoltés du 17 octobre étaient dans la rue et l'affaire prenait une dimension politique.

Ces agents du terrain n'obéissaient à aucune consigne syndicale. Ils voulaient exprimer leur colère après l'attaque contre quatre de leurs collègues à l'entrée du quartier de la Grande Borne, à Viry-Châtillon (Essonne), le 8 octobre dernier. Une agression à coups de pierres et de cocktails Molotov qui a fait quatre blessés, dont deux graves chez les forces de l'ordre. Elle vaut notamment à un adjoint de sécurité (ADS) de 28 ans d'être maintenu dans un coma artificiel depuis qu'il a été très grièvement brûlé aux mains et au visage. La police de l'Essonne avait déjà manifesté à Évry au cours du week-end. Mais dans la nuit de lundi à mardi, vers minuit, le mouvement a subitement pris une tout autre ampleur.Une centaine d'agents ont été rejoints par 400 collègues venus de toute l'Île-de-France. Ils étaient en civil et armés, puisque c'est la règle désormais dans le cadre de la lutte antiterroriste. À bord de véhicules banalisés ou même de leurs voitures de patrouille sérigraphiées, ils ont d'abord manifesté leur mécontentement devant l'hôpital Saint-Louis à Paris (Xe arrondissement), où est toujours hospitalisé l'ADS grièvement brûlé.

Puis, le bruyant cortège s'est mis en route vers «la plus belle avenue du monde», à deux pas du ministère de l'Intérieur, de l'Élysée. Sous le regard éberlué des passants et automobilistes.Au ministère de l'Intérieur, ce fut la panique. Des effectifs bloquaient ferme les accès de l'avenue de Marigny qui longe le palais présidentiel et donne sur la place Beauvau. Depuis le matin, la rumeur disait que les «révoltés» allaient s'y engouffrer.

Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, a envoyé un télégramme à toutes les autorités d'Ile-de-France en guise de «rappel des droits et obligations des policiers»: «L'organisation de rassemblements, durant le temps de service et avec des matériels administratifs, ayant pour objectif d'attirer sur des revendications ne serait pas acceptable», a-t-il prévenu.

En écho, le directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne (DDSP), Luc-Didier Mazoyer, a mis en garde ses troupes: «Aujourd'hui, une rumeur persistante évoque un déplacement des policiers de grande couronne en service ce soir en direction de l'hôpital Saint-Louis puis de la place Beauvau. Cela ne peut être envisagé. (…) Il n'est pas question de dégarnir la voie publique et d'être en incapacité de répondre aux réquisitions ou aux nécessaires renforts sollicités par les équipages en intervention.»

Ses consignes à tous les chefs de service se voulaient claires: «Il vous est demandé d'être personnellement présents à la prise de service de la brigade de nuit pour dissuader les effectifs d'adhérer à de telles initiatives qui ne servent pas la cause de la police nationale.» Il ajoutait: «Un officier sera présent au niveau de chaque district pendant la vacation de nuit, pour s'assurer de l'absence de participation des effectifs en service dans le département de l'Essonne à ce type de contestation.»

Vaine précaution. Même les syndicats ont été dépassés. L'un d'eux militait «pour que ce soit les commissaires et non pas les officiers qui se chargent de faire la morale aux fonctionnaires. Pour une fois, ils feront le sale boulot.» Drôle d'ambiance dans la «grande maison». Aux antipodes de la petite musique lénifiante des communiqués de Beauvau.C'est que le malaise est profond dans le «grande maison». Sur le vif, les policiers qui ont bravé les interdits l'exprimaient avec leurs mots. «Vous les avez entendus réagir, les syndicats, quand Cazeneuve a parlé de sauvageons? Des gens qui lancent un cocktail Molotov sur les policiers pour les tuer, ce ne sont pas des sauvageons, ce sont des criminels.»

« Vous les avez entendus réagir, les syndicats, quand Cazeneuve a parlé de sauvageons ?

L'un d'eux ajoutait: «La patrouille visée était composée d'un adjoint de sécurité et d'un gardien de la paix, c'est illégal. Normalement, il doit y avoir deux gardiens par patrouille, c'est dans les textes.»

Sur place, un autre agent en civil déclarait: «Si on a choisi de faire ça sans les syndicats, c'est aussi pour pouvoir exprimer un petit peu notre mécontentement vis-à-vis de notre hiérarchie, vis-à-vis des solutions pénales qui sont proposées, vis-à-vis des conditions dans lesquelles on travaille.»

Il n'y a pas que la philosophie des lois Taubira qui soit contestée. Beaucoup d'agents mettaient en cause le bien-fondé des ordres à Viry-Châtillon, où la patrouille attaquée s'était vu confier la mission ubuesque de devoir surveiller une caméra de surveillance.

«On peut comprendre le ras-le-bol des policiers qui exercent dans ces quartiers et ne voient pas depuis des années les décisions politiques faire changer la situation sur le terrain», a réagi le syndicat SCSI qui, comme l'Unsa-Police, avait appelé le 11 octobre à manifester devant les commissariats en solidarité avec leurs collègues attaqués, tandis qu'Alliance (majoritaire) et Synergie-Officiers avaient décrété la «grève du zèle».

Châtier les «insoumis»

Le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, a jugé le mouvement spontané des policiers lundi «inacceptable», «contraire à leurs obligations statutaires». Et saisi en conséquence la police des polices pour châtier les «insoumis». «Par ce comportement, ils fragilisent la police nationale et fragilisent aussi chaque policier», a-t-il affirmé.

«On s'est organisé nous-mêmes, par les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille», a expliqué l'une des fonctionnaires rebelles. Avant le départ d'une partie du cortège depuis un parking dans l'Essonne, leur DDSP «est venu tenir son discours», confie-elle. «Il nous a comparés à des gitans, et nous a menacés de révocations et de conseils de discipline», a-t-elle précisé. Les policiers, sans se démonter, ont alors tourné le dos à leur supérieur…

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