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Tunisie : un Nobel lourd de signification pour les dictatures arabes

Écrit par sur octobre 9, 2015

 Faire de la Tunisie un exemple pour le monde arabe, voici le sous-titre de ce Nobel attribué au quartet récompensé. C'est l'exception tunisienne qui a été primée », a déclaré la présidente d'honneur de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Il est 10 heures et des poussières lorsque la nouvelle parvient par le bouche-à-oreille dans les lieux de pouvoir. Que ce soit à Carthage, siège de la présidence, à la Kasbah, le Matignon tunisois,dans la petite maison qui abrite l'UGTT sur une petite place nichée au cœur de Tunis… Alors que le pays broyait du noir à la suite de la tentative d'assassinat dont a été victime ce jeudi 8 octobre à Sousse le député Ridha Charfeddine, l'annonce du Nobel a dopé l'espoir, mot noyé depuis plusieurs mois dans la morosité économique et sécuritaire (les deux attentats qui ont tué au Bardo, puis à Sousse). De Béji Caïd Essebsi, le président de la République, à Wided Bouchamaoui, présidente de l'Utica (le Medef tunisien), les réactions se superposent, disent le même état d'esprit : ce Nobel est pour tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes. Depuis la révolution (lancée à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010 pour s'achever à Tunis le 14 janvier 2011), la démocratie tunisienne s'est installée rapidement. Les premières élections législatives se sont déroulées en octobre 2011. Une fois élue, l'Assemblée constituante s'est attelée à la rédaction de la nouvelle Constitution, celle de la IIe République tunisienne. Trois ans plus tard, le texte était voté avec émotion au palais du Bardo, siège de l'ARP. Toute l'architecture de la jeune démocratie tunisienne a été installée en quatre années.

2013, l'année de tous les dangers

Pourtant, les obstacles furent nombreux. Entre zélotes de l'ancien régime, les 23 ans de règne de Ben Ali et de sa clique mafieuse, et adorateurs d'un califat, les forces de la contre-révolution ont tenté des coups de force. Le 6 février 2013, l'opposant Chokri Belaïd est assassiné devant son domicile. Avec sa casquette éternellement vissée sur le crâne, sa large moustache qui barrait son visage et son verbe accusateur, l'homme était une figure de la contestation. Il vomissait aussi bien les islamistes radicaux que le ministère de l'Intérieur, la « boîte noire » de la dictature. Des violences embrasèrent le pays les 6 et 7 février. Des locaux du parti islamiste Ennahdha furent incendiés, le centre de Tunis devint l'épicentre de violences incontrôlées. Puis le député Mohamed Brahmi fut à son tour exécuté devant son domicile, à l'Ariana, le 25 juillet, jour anniversaire de la République. Fortement contesté, le gouvernement mené par Ali Larayedh acceptera l'entrée en lice du Dialogue national mené par le quartet primé ce matin par l'Académie suédoise. L'Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l'homme, l'UGTT et l'Utica ont encadré les négociations pour instaurer un gouvernement de technocrates. Après cinquante jours de délicats pourparlers, Mehdi Jomâa était choisi pour devenir chef du gouvernement. Sa feuille de route ? La sécurité et le bon déroulement des élections. Les législatives puis la présidentielle se déroulèrent dans d'excellentes conditions sous la houlette de l'Isie, l'instance indépendante en charge des scrutins. Mission réussie pour le quartet : la mise sur orbite démocratique de la Tunisie.

24 pays arabes, une exception tunisienne

Le Nobel de la paix 2015 prime la Tunisie, preuve qu'un pays arabe peut construire une vie démocratique. Le schéma « le bâton ou les barbus » a vécu à Tunis. Il semble possible d'établir un pays où les gens votent librement. L'alliance entre la Nidaa Tounes de Béji Caïd Essebsi et des islamistes d'Ennahdha a surpris après une campagne verbalement brutale. Les deux partis gèrent la Tunisie avec une confortable majorité de 155 députés (sur 217) à l'Assemblée des représentants du peuple. Cette alliance est également une exception. Les Nobel ont donc salué une démarche, une réussite politique, une culture du consensus qu'aucun voisin ne semble capable de pratiquer. En Égypte, le raïs Al-Sissi a emprisonné une bonne partie des Frères musulmans. L'ancien président Morsi étant condamné à mort par la justice. En Algérie, le cinquième mandat de Bouteflika connaît une crise économique liée à un modèle basé à plus de 90 % sur le commerce des hydrocarbures. Vue de loin, la Tunisie apparaît comme un havre de paix démocratique. Ce que consacre ce Nobel. Et met une vingtaine de pays arabes face à leur modèle soit totalitaire soit semi-dictatorial. Pour autant, rien d'idyllique. La Tunisie connaît de graves difficultés. Une croissance économique à zéro, un chômage de masse, la menace terroriste, quelque 8 000 Tunisiens partis en Syrie faire le djihad… Ce Nobel ? Une façon de dire aux démocraties du monde entier qu'il faut aider la jeune démocratie tunisienne. Pas seulement avec de belles paroles, de jolis discours et des visites officielles stériles.

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