Soja, bétail, barrages: pourquoi la forêt amazonienne brûle
Écrit par Jonathan PIRIOU sur août 23, 2019
Depuis des années, la déforestation ravage l’Amazonie, notamment via des incendies volontaires. Principaux mis en cause: la production intensive de soja et l’élevage bovin.
Lundi dernier à Sao Paulo, le ciel s’est brusquement obscurci vers 15 heures locales. L’Etat le plus peuplé du Brésil n’a pas connu une éclipse imprévue, mais a subi les conséquences des incendies qui ravagent depuis des semaines la forêt amazonienne.
Il a plu gris dans certains endroits, les échantillons d’eau de pluie récupérés présentant un aspect trouble et une odeur de bois brûlé. En 48 heures, 2500 nouveaux départs de feu ont été constatés dans tout le Brésil, pendant qu’un élan d’inquiétude tout aussi louable que soudain gagne le reste de la planète.
Car les incendies de la forêt amazonienne ne datent pas de cette année, même si 2019 détient le triste record d’une augmentation des incendies de 83% par rapport à l’année précédente.
Scientifiques, ONG et populations locales alertent depuis des années sur les conséquences de la déforestation. En novembre 2015, nous rapportions déjà que la forêt amazonienne avait perdu près de 6000 km² en un an. C’était aussi l’un des dossiers portés par Dilma Rousseff la même année à la COP21.
Bolsonaro accuse les ONG, son ministre la sécheresse
Ça, c’était avant l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir. Le président brésilien d’extrême droite, dont l’une des propositions pour préserver l’environnement est “de faire caca un jour sur deux”, s’est bien engagé publiquement début août à lutter contre la déforestation illégale. Mais la déclaration survenait au lendemain du limogeage du directeur de l’Institut national de recherche spatiale (INPE), Ricardo Galvao, qui avait révélé une augmentation de 88% de la déforestation en Amazonie en juin, par rapport au même mois en 2018.
Plus criant encore, le site OpenDemocracy a diffusé ce mercredi des extraits d’un Powerpoint censé être présenté lors d’une réunion entre le gouvernement brésilien et des dirigeants locaux de l’Etat de Para. Dans ces documents, il est prévu “pour lutter contre la pression internationale du triple A” de construire en Amazonie une “usine hydroélectrique”, “un pont sur la rivière Amazone” et poursuivre “l’autoroute BR-163 vers la frontière avec le Suriname”.
“Peut-être, je ne l’affirme pas, que les gens des ONG font des choses criminelles pour me décrédibiliser, pour diriger l’attention contre le gouvernement du Brésil”, a récemment lancé Jair Bolsonaro à des journalistes, dénonçant une “guerre de l’information”.
“La sécheresse, le vent et la chaleur ont provoqué une forte augmentation des incendies dans tout le pays”, a de son côté affirmé dans un tweet le ministre brésilien de l’Environnement Ricardo Salles. Pourtant, la cause est bien structurelle.
“Allumer un feu résulte d’une action humaine”
A l’origine, la composition naturelle de l’Amazonie ne la rend pas forcément vulnérable aux incendies à cause de toute l’humidité qu’elle abrite. Nigel Sizer, l’un des responsables de l’ONG Rainforest Alliance, explique à USA Today que dans un tel environnement, un feu de forêt s’étend un peu mais s’éteint rapidement. A moins que la zone n’ait déjà été victime de feux et de déforestation et qu’elle soit donc plus aérée, plus sèche: l’incendie a alors champ libre pour se propager.
Qui plus est, l’Institut brésilien de la recherche spatiale est directement venu contredire le ministre de l’Environnement. “Il n’y a rien eu d’anormal cette année dans la quantité de pluie ou dans le climat de l’Amazonie”, a déclaré à Reuters l’un de ses chercheurs, Alberto Setzer.
“La saison sèche crée des conditions favorables pour utiliser et répandre du feu, mais allumer un feu résulte d’une action humaine, soit volontairement soit par accident”, a-t-il poursuivi.
Soja + boeuf = 80% de la déforestation
Mais pourquoi la forêt amazonienne est-elle déboisée, en premier lieu? L’Amazonie abrite de nombreuses ressources qui suscitent beaucoup de convoitises: de l’or, du cuivre, du tantale, du minerai de fer, du nickel et du manganèse. Le bois aussi, tout simplement. Comme le rappelle Vox, des trafiquants de bois n’hésitent pas à allumer des incendies pour chasser les populations locales de leurs terres et couvrir leurs traces.
Selon l’ONG Amazon Watch, la production de soja et l’élevage de boeufs comptent pour 80% des causes de la déforestation. Si les exportations sont difficiles à suivre à la trace, l’ONG a pu identifier les capitaux étrangers sur lesquelles reposent les entreprises productrices, comme ils le présententà partir de la page 20 de ce rapport.
La production de cuir et de sucre est aussi pointée du doigt dans le document. Les paysans pratiquant la culture sur brûlis affirment que cela améliore la qualité de leurs terres.
Pourtant, “l’agriculture brésilienne n’a pas besoin de la déforestation pour se développer”, assure à BFMTV.com Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. “C’est absurde. Pendant plusieurs années, la déforestation avait d’ailleurs été arrêtée et les rendements n’avaient pas baissé”, constate-t-il.
“Jamais un gouvernement n’avait fait l’apologie de l’illégalité”
“Le Brésil possède déjà énormément de terres agricoles, il leur suffirait d’intensifier leur production. Ils n’ont pas besoin d’avoir des terres supplémentaires”, assène le chercheur.
La construction de barrages hydroélectriques et d’infrastructures routières, tout comme l’industrie minière -légale ou illégale-, sont d’autres causes économiques de la déforestation.
“Il y a toujours eu de la déforestation et des feux en Amazonie, mais jamais un gouvernement n’avait fait l’apologie de l’illégalité”, déplore auprès de l’AFP Marina Silva, militante écologiste brésilienne et ex-candidate à la présidentielle.
Le 15 août dernier, le média brésilien Brasil de Fato rapportait que des fermiers comptaient organiser un “jour du feu”. “Nous devons montrer au président que nous voulons travailler et le meilleur moyen de le faire est de faire bouger les choses. Et pour créer et nettoyer les pâtures, il n’y a que le feu”, assurait un des organisateurs de la manifestation au journal local Folha do Progresso.