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Quelles incidences pourrait avoir le ralliement de Marion Maréchal à Éric Zemmour

Écrit par sur janvier 29, 2022

Marion Maréchal est susceptible de rejoindre Éric Zemmour et de se présenter aux élections législatives de 2022. Ce ralliement pourrait participer à normaliser la candidate du Rassemblement national, argumente Arnaud Benedetti.Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il publie Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).C’est une histoire aux ressorts antiques : le pouvoir et ses luttes, les liens du sang, et les divinités incontrôlables du destin. La pression exercée par Éric Zemmour sur Marine Le Pen ira-t-elle jusqu’à percer les lignes familiales de sa concurrente ? C’est une réalité évidemment d’abord politique qui s’est installée depuis de nombreuses années entre Marine Le Pen et Marion Maréchal. Il y a deux lignes dans ce que l’on appelait autrefois le camp national. Ces deux lignes induisent des valeurs, si ce n’est opposées, mais différentes et des stratégies forcément distinctes : plus sociale et pragmatique chez la première, plus identitaire et libérale économiquement chez la seconde. Par-delà cette distinction, les options stratégiques diffèrent aussi nécessairement.

Le zemmourisme auquel pourrait se rallier l’ancienne benjamine de l’Assemblée nationale accrédite l’idée qu’il opérerait comme un raid, voire une lame de fond, qu’il est en mesure de renverser la table maintenant et tout de suite ; le marinisme de son côté entend implicitement dépasser le lepenisme originel, ou à tout le moins se débarrasser de ses aspérités les plus électoralement handicapantes, pour gagner en efficience et construire de la sorte dans la durée. La question de la temporalité, de la perception de cette temporalité, est un facteur souvent décisif pour comprendre les comportements politiques. L’offre d’Éric Zemmour, contrairement à l’image de « guerre éclair » qu’elle peut susciter, va ainsi au-delà du printemps 2022. C’est le pari du « qui perd gagne » qui la sous-tend. La défaite potentielle de Marine le Pen, de Valérie Pécresse aussi, constitue son horizon immédiat et son assurance-vie. L’inconscient du zemmourisme se nourrit dès lors d’une programmation des échecs de la droite sous toutes ses formes. Il enjambe l’échéance du printemps pour préparer messianiquement l’union de toutes les droites, quand Marine Le Pen mise tout, nonobstant la résilience qu’elle dégage avec une forme de maîtrise inattendue et bluffante, sur l’échéance électorale à venir : son carré d’As est exclusivement et avant tout indexé sur l’agenda présidentiel.

Marine Le Pen génère de la sorte ce qui peut s’apparenter à une maturation de son image : moins agressive, plus sage, toujours déterminée, marquée par les épreuves mais forte de leurs empreintes ; elle devient progressivement dans une campagne où s’affrontent des offres souvent clivantes la mesure de toute chose.

Arnaud Benedetti
Marion Maréchal en créant ces derniers jours un suspens autour de son ralliement éventuel à Éric Zemmour pourrait en fin de compte, bien involontairement, être utile à sa tante. Celle-ci démontre, en effet, depuis septembre une étonnante capacité à se survivre. Certes la dynamique zemmouriste de l’automne est venue perturber l’évidence de sa qualification annoncée du second tour. Pour autant, infirmant bien des pronostics hâtifs, la présidente du RN n’a pas décroché dans les intentions de vote, repoussant même les assauts d’une Valérie Pécresse qui à ce stade n’a pas réussi, en dépit du rebond passager, quasi technique, née de sa désignation via le congrès de sa formation, à s’imposer comme la rivale incontestée du sortant. Comme le roseau pascalien, Marine Le Pen « plie mais ne rompt pas ». Elle génère de la sorte ce qui peut s’apparenter à une maturation de son image : moins agressive, plus sage, toujours déterminée, marquée par les épreuves mais forte de leurs empreintes ; elle devient progressivement dans une campagne où s’affrontent des offres souvent clivantes la mesure de toute chose. Entre le Président qui stigmatise les non-vaccinés, Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon qui électrisent chacun à leur manière le débat, ou même Valérie Pécresse qui renoue avec la métaphore karcherisante, Marine Le Pen présente un profil d’apaisement et de rassemblement qui tend à cristalliser ce que les professionnels de la com’ appellent aux États-Unis le « goodwill », une formule initialement issue des pratiques comptables pour désigner une « attitude positive », comme si la finaliste de 2017 était entrée dans son « moment » ou avait trouvé sa tonalité.

Marine Le Pen, effet du zemmourisme, devient une candidate républicaine comme les autres ou presque, ce qui certes la laisse pour une part à découvert sur sa droite mais dope son potentiel d’agrégation et de synthèse dans la perspective du second tour.

Arnaud Benedetti
Dans ce contexte, le supplice apparent des ralliements séquencés de cadres et personnalités du RN auprès d’Éric Zemmour contribuera peut-être à la renforcer en l’humanisant, à l’instar du Chirac de 1995 perclus par les défections trahissantes de ses pairs, en épaississant sa « presidentialité » au travers de la démonstration de son aptitude à conserver son sang-froid dans l’adversité, en lui prodiguant cette patine qui lui fit défaut voici cinq ans. La scarification initiatique que lui vaut un premier tour indiscutablement moins confortable que ne l’annonçaient les sondages tend à la transformer en la recentrant politiquement et en lui ôtant bien des aspérités qui parasitaient son acceptabilité. Marine Le Pen, effet du zemmourisme, devient une candidate républicaine comme les autres ou presque, ce qui certes la laisse pour une part à découvert sur sa droite mais dope son potentiel d’agrégation et de synthèse dans la perspective du second tour. De ce point de vue le départ de Marion Maréchal ne ferait que certifier un processus de normalisation, sans nécessairement fragiliser la présidente du RN ; notamment parce que d’une part le socle identitaire et traditionnel incarné par Marion Maréchal est déjà passé du côté du zemmourisme, et que d’autre part tout, ce qui ne parvient pas à définitivement déstabiliser et marginaliser la marque mariniste finit par la consolider. Un enseignement nietzschéen.