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Quel est notre problème avec le loup ?

Écrit par sur juillet 4, 2018

Les éleveurs d'ovins s'inquiètent de la disparition du pastoralisme en raison de sa présence. Dans le Larzac, un maire a récemment appelé ses administrés à éviter les promenades à cause de lui. Et les associations de défense crient au scandale depuis le relèvement du quota d'animaux à abattre pour la saison 2016-2017. Trente ans après son retour en France, le loup continue de cristalliser les mythes et les passions. Pour quelles raisons ? Comment régler le problème ? Pour mieux comprendre notre relation à ce grand prédateur, franceinfo a interrogé l'ethnozoologue Geneviève Carbone. Cette spécialiste du loup, qui a été chercheuse au Muséum national d'histoire naturelle, est l'auteure de nombreux ouvrages sur l'animal. 

Franceinfo : Vous faites partie de ceux qui ont annoncé le retour du loup en France, dans les années 1990. Pouvez-vous nous rappeler comment le loup est arrivé chez nous ?

Geneviève Carbone : La première observation officielle date de novembre 1992, dans le parc national du Mercantour. Lors d'un comptage de grands ongulés [mammifères pourvus de sabots, comme les cerfs, chamois, mouflons], des gardes du parc voient quelque chose qu’ils pensent être du loup, alors qu’il n’y en a aucune trace jusque-là. Et ils se rendent compte que c’est récurrent. La question s’est vite posée de savoir si c’était un lâcher [clandestin] et de quoi il s'agissait. Il fallait s'assurer que c'était bien du loup, et non un chien sauvage. Ç'a été un gros travail d'analyses génétiques, puis une consultation avec les collègues italiens. 

En fait, le loup est revenu en franchissant la frontière franco-italienne. Dans les années 70, les scientifiques italiens se sont rendu compte que la population naturelle du loup était en train de disparaître. Ils ont alors fait voter une loi de protection interdisant la chasse, en s'appuyant sur le mythe du loup de Gubbio. Et la population s'est redynamisée en Italie. Les loups ont recolonisé les montagnes, pour finir par arriver dans le Piémont.

Aujourd'hui, la population est-elle en augmentation en France ?

Le loup est en expansion, de manière globale. C'est d'ailleurs pour ça que l'espèce a pu recoloniser une partie du territoire français. Au départ, il y avait souvent de nouveaux passages depuis l'Italie. Maintenant, c'est une expansion interne : il y a suffisamment de meutes en France pour que les louveteaux, qui survivent jusqu'à l'âge "subadulte", partent en dispersion. Il faut savoir que le loup est un animal social. Cela signifie qu'il vit en famille. Il y a un mâle, une femelle et des petits chaque année. C'est la meute. A un moment, les petits quittent cette meute, sans direction précise. Parfois, il restent seuls. Parfois, ils croisent la route d'un autre loup et ils s'établissent pour faire une nouvelle meute. C'est comme ça que la zone de présence du loup progresse en France. Ce sont des mouvements de grande ampleur.

Où se trouvent-il désormais ? 

Ils sont d'abord remontés le long des Alpes, en restant dans les zones montagneuses avec une densité d'ongulés sauvages intéressante pour eux. Puis ils ont traversé la vallée du Rhône, ce qui a pris du temps car il y a le fleuve, les autoroutes, des zones industrielles et commerçantes. Ils ont commencé à s'installer dans le bas du Massif central, sont descendus dans les Pyrénées, où il y a aujourd'hui trois ou quatre meutes. Et l'on a aussi une présence dans les Vosges. 

Cette présence plus importante représente-t-elle un danger pour l'homme ?

Le loup est un animal sauvage qui a plutôt peur de l'homme. Mais il ne faut pas imaginer que notre seule présence olfactive crée une barrière entre eux et nous. Les loups s'approchent des villages pendant la nuit, quand c'est tranquille. Ils les traversent, fouillent les poubelles, croquent un chien ou un chat au passage. A ce jour en France, on n'a pas recensé d'interaction agressive.

Il est clair que l'homme n'est pas une proie pour le loup. Mais il y a déjà eu des attaques de loups sur l'homme.Geneviève Carboneà franceinfo

Dans le Yukon (Canada), une personne est sortie courir et s'est retrouvée face à une meute. Ils sont partis derrière elle. Il peut arriver qu'un loup ait un comportement dangereux. Pour autant, il ne faut pas générer une peur manifeste : on a plus de risques de se faire mordre par un chien que par un loup. 

Malgré cela, le loup reste un animal qui fait peur. D'où provient ce sentiment ?

Notre peur du loup n'est pas universelle, mais culturelle. Elle est inscrite dans notre relation à l'animal. Le loup fait partie des espèces qui vont être un espace de projection de ce qui est important pour nous, en bien comme en mal. Quand nos valeurs liées à la nature, la sauvagerie, la violence, la sexualité sont vues positivement, le loup devient un emblème. C'est le cas chez les Amérindiens ou certains peuples germano-scandinaves. A l'inverse, quand notre lien à la nature se distend, qu'elle devient inquiétante, qu'on est davantage dans une relation de maîtrise où la nature nous appartient, le loup devient l'espèce sur laquelle on projette nos craintes. Et il est traité comme tel. 

Vous connaissez très bien les loups. Sont-ils de violents prédateurs qui s'acharnent, comme les contes le décrivent ?

On transmet des choses fausses sur lui. Par exemple, que les loups ont une stratégie collective de chasse, donc qu'ils vont se débrouiller pour isoler une bête. Le loup ne fait pas ça. Quand il entre dans un troupeau, il va voir la brebis qui court différemment, qui est derrière ou qui boite. Il peut venir une, deux, dix, trente fois car il a une patience énorme. Et s'il a du succès, on peut être sûr que le lendemain, il reviendra. 

Le canidé tue à la course, il n'est pas à l'affût comme les félins. Son comportement de poursuite et d'attaque est déclenché parce qu'une bête se met à courir. Or, les troupeaux de moutons… ça court ! C'est fabuleux pour le loup, qui va prendre une brebis, puis une autre, puis encore une, jusqu'à ce que le troupeau soit très dispersé. A ce moment-là, il ne peut pas faire autrement que se calmer et manger la brebis.

Reste que pour les éleveurs, ces attaques sont dramatiques. On peut comprendre leur colère… 

Il y a des loups et des brebis en montagne : à un moment donné, il y aura des brebis égorgées. C'est un état de fait. C'est douloureux et problématique car aucun éleveur n'élève ses brebis pour qu'elles soient tuées par un loup. Même si je suis contente que le loup soit là, ce n'est pas moi qui en supporte le coût, physique et financier. En plus, un alpage reste de l'ordre du domestique. Cela pose problème d'avoir une immersion du sauvage sur un espace dévolu au domestique. On a conféré depuis longtemps un rôle aux éleveurs : nourrir la France et aménager les territoires. Ils se sont – à juste titre – investis de cette mission d'entretien des paysages. Le loup, lui, incarne la friche, la forêt, tout ce qui n'est absolument pas domestique. Dans le fond du problème, il y a aussi ça qui traîne.

Cela fait vingt ans que le loup vit en France et on assiste encore à des manifestations anti-loups. Pourquoi le débat autour de sa présence reste-t-il si sensible ?  

Je pense que le cœur du débat est là. C'est triste d'opposer les pro et les anti. On ne peut pas être dans la posture avec le loup et le pastoralisme. Etre éleveur en montagne, c'est vraiment dur. Et c'était peut-être trop de dire que "le retour du loup c'est fabuleux, le monde revit"… Après, pourquoi les hommes politiques se sont emparés de ce problème alors que cinq ans avant, les éleveurs pouvaient crever sur leurs alpages ? Le loup a été instrumentalisé, d'un côté comme de l'autre. 

Depuis 1993, les éleveurs cohabitent avec le loup chaque année. C'est une réalité, qu'on la vive bien ou mal. Pourquoi ne se sert-on pas de ce qu'on a appris dans les premières années ? A l'époque, ce qu'on proposait, c'était de renforcer la présence de l'homme. Oui, il faut des chiens patous, des cabanes, du parcage, mais ce n'est pas ça qui règle la question. Il faut apporter une aide conséquente pour gérer le surcroît de fatigue et d'inquiétude lié au loup. Aller voir davantage les éleveurs, et pas seulement au moment des constats. Si l'on ne monte que pour les attaques, on n'aide pas à changer l'image du loup. 

Les tirs de prélévements sont une mauvaise idée, selon vous ?

Mais on ne sait même pas ce qu'on prélève ! On tire à une soixantaine de mètres, alors je mets quiconque au défi de me dire s'il sait que c'est un mâle ou une femelle. On tire parce qu'on voit un loup ; quel est l'intérêt ? Cela n'a rien à voir avec un tir de défense qui se fait directement sur le troupeau, au moment de l'attaque. Le tir de prélèvement est totalement déconnecté d'une attaque. C'est une soupape de sécurité pour l'homme et ça n'a aucun effet positif sur le loup. L'animal ne peut pas le mettre en relation avec une prédation qui aurait eu lieu trois jours avant. Surtout que pour lui, il n'a rien fait de mal : il a juste mangé !

Mais que peuvent faire les éleveurs qui, aujourd'hui encore, subissent les attaques ?

Il faut admettre que le loup est là et qu'il faut modifier sa façon de travailler, même si c'est dur à entendre. Les éleveurs doivent changer d'état d'esprit et arrêter de se battre contre des moulins à vent. Mais pour ça, il faut les aider et pas seulement avec de beaux discours. Un berger ne peut pas assurer la présence, jour et nuit, sur une estive entière. Il faut mettre plus d'hommes !

Après, il n'y a pas de solution pérenne. Il existe des alpages où, dès qu'on met les patous, c'est réglé. Il y a des alpages où le terrain est tellement raide que si le loup arrive là, on sait qu'il va y avoir 30 ou 40 brebis avec les pattes cassées. Dans ce cas-là, ne pourrait-on pas négocier un changement d'alpage ? La solution ne peut pas se vivre comme un arrêté préfectoral, avec 40 loups à tuer pour cette année, mais comme une réflexion au niveau du territoire. Il faut penser avant d'agir. Le loup est un animal qui pose la complexité.