Pourquoi le débat sur l’arrivée de la 5G en France est-il aussi survolté ?
Écrit par Jonathan PIRIOU sur septembre 27, 2020
ntre smartphone et lampe à huile, va-t-il falloir choisir son camp ? Le débat sur le déploiement prochain du réseau 5G en France, qui doit permettre une circulation des données à un débit nettement supérieur à la 4G, agite le débat politique. Emmanuel Macron a récemment comparé les opposants à la 5G à des Amishs qui souhaiteraient “le retour de la lampe à huile“. Face à lui, une partie des élus de gauche et écologistes redoutent une technologie dangereuse, inutile et polluante.
En déclarant que la France prendrait, coûte que coûte, le tournant de la 5G, le chef de l’Etat a crispé l’opposition. “Le gouvernement fait comme si tout le monde était déjà d’accord”, s’indigne François Thiollet, membre du bureau exécutif d’EELV interrogé par franceinfo. L’écologiste, à l’initiative d’une tribune pour un moratoire sur la 5G signée par une soixantaine d’élus et les maires de onze grandes villes, estime que le ton employé par le gouvernement a permis de fédérer le camp adverse.
Si nous ne sommes pas tous d’accord sur la question de la 5G, il y a une chose qui nous réunit : c’est le rejet de la méthode du gouvernement qui fait dans la caricature, voire dans l’insulte.François Thiollet, membre d’EELVà franceinfo
La tribune, publiée dans le Journal du dimanche, a en effet réuni un spectre assez large d’élus de gauche, de personnalités PS comme Delphine Batho aux figures de La France insoumise comme Adrien Quattenens, François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon. “C’est une question qui fédère très largement à gauche”, confirme à franceinfo Antoine Martin, élu municipal La France insoumise à Tours, qui a collaboré à la rédaction du texte et à la réunion des signatures.
Les arguments écologistes du texte ne sont pas du goût de la droite. La critique concernant les méthodes du président, accusé “d’inculture et d’ignorance”, est cependant partagée, comme l’explique le député Les Républicains du Lot Aurélien Pradié dans Le Point. “Cela montre combien il fracture la société”, précise-t-il.
Un coût environnemental discuté
Parmi les inquiétudes des opposants : une préoccupation sanitaire et l’idée que les ondes pourraient être nocives pour l’homme. Une rhétorique fragile, à en croire le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique, Cédric O, qui s’est empressé, dans une interview à Public Sénat, de citer les “28 000 études” réalisées “depuis 1950 dans le monde” concluant à l’absence d’effets sanitaires des ondes téléphoniques, même si moins de 200 de ces études concernent la 5G. “Sur les enjeux sanitaires, le match est plié. Il y a des dizaines d’études qui démontrent que rien ne permet de craindre des effets négatifs de ces ondes sur la santé”, insiste le député LREM Eric Bothorel, interrogé par franceinfo.
“C’est vrai que les arguments sanitaires sont les plus fragiles, mais ce ne sont pas les plus importants”, admet François Thiollet. C’est le coût environnemental du réseau 5G qu’il faut surveiller, selon lui, notamment la consommation énergétique du réseau. “Les industriels s’accordent sur la promesse de multiplication par 1 000 des données échangées sur les réseaux dans les prochaines décennies, faisant augmenter la consommation énergétique de façon exponentielle”, avertit-il. Antoine Martin ajoute être “sûr” que ce nouveau réseau va aussi inciter les consommateurs à changer de smartphone.
Aujourd’hui, le marché est moribond, les taux de croissance sont en chute libre. La 5G arrive comme une chance immense pour tout un secteur qui espère relancer la consommation de smartphones.Antoine Martin, élu municipal LFIà franceinfo
Viennent ensuite s’ajouter à la liste des griefs, la consommation des ressources rares pour produire les téléphones adaptés et la production des déchets liés au remplacement des appareils. “On produit des objets connectés qui vont devenir des déchets supplémentaires qu’on recycle actuellement très mal”, rappelle François Thiollet.
La République en marche veut balayer l’argument. “On se trompe de bataille”, estime Eric Bothorel. “Les gens changent de portable à Noël, pour avoir un meilleur appareil photo ou un écran plus grand, les infrastructures sont finalement très peu responsables”, avance le député LREM, pour qui l’argument revient à “rendre les autoroutes responsables de la pollution, plutôt que les voitures”.
Le gouvernement veut mettre l’accent sur les effets bénéfiques que le réseau 5G pourrait au contraire avoir dans le combat contre le réchauffement climatique : l’amélioration des conditions du télétravail, qui ferait baisser l’impact environnemental des transports quotidiens, ou encore le contrôle des flux dans une métropole, qui permettrait de mieux gérer les dépenses énergétiques. “La transition écologique ne se fera pas sans la 5G”, assure Eric Bothorel.
Des bénéfices réels incertains
“Les politiques sont convaincus qu’on peut pacifier le débat en rassurant les citoyens sur le fait qu’il n’y a pas de danger”, analyse le philosophe Jean-Michel Besnier, membre du conseil scientifique de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST). Pour lui, cette question est secondaire. “Ce dont il s’agit, c’est de savoir pourquoi on vivrait mieux avec la 5G”, interroge le philosophe, auprès de franceinfo.
Or les apports concrets de cette technologie sont loin de mettre tout le monde d’accord. Ainsi, le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, a estimé sur LCI, que la 5G ne servirait qu’à “regarder du porno en HD dans l’ascenseur”. Une caricature ? En tout cas, “la question des usages est fondamentale, assure François Thiollet, si c’est pour faire du jeu immersif, est-ce vraiment nécessaire ?”
Peut-on anticiper les usages que la 5G favorisera ? “L’Histoire nous enseigne qu’on apprend seulement plus tard quelles nouvelles applications naissent d’une innovation”, répond Eric Bothorel. Le député veut tout de même croire à des applications vertueuses, qui “feront le bonheur des gens et permettront de mieux vivre”. Il cite la possibilité de faciliter le recours à la téléconsultation dans les déserts médicaux, ou encore l’accès à la culture,“en visites virtuelles”.
Un progrès ou une simple innovation ?
Au-delà des usages concrets, le déploiement de la 5G pose la question de la course technologique. “Je crois qu’une partie de la société est lassée de l’innovation sans fin”, note Jean-Michel Besnier, pour qui la 5G va “surtout servir le monde des entreprises”.
Aujourd’hui, la technologie nous est imposée comme un destin, quelque chose dont on ne doit plus débattre, car on ne peut pas le régenter. Ce n’est pas un progrès, ce ne sont que des innovations.Jean-Michel Besnier, philosopheà franceinfo
“Je crois nécessaire de poser un débat sur le sens des évolutions scientifiques et technologiques“, abonde le député LR Aurélien Pradié, dans son interview au Point. “Le progrès, c’est toujours celui de la société, pas de la technologie, partage François Thiollet. Le progrès, c’est rechercher une société meilleure pour tout le monde.”
L’élu de la France insoumise Antoine Martin regrette qu’Emmanuel Macron se borne à présenter le passage à la 5G comme une évolution naturelle, dans un domaine où la France se doit d’être à la pointe, sous peine d’être en retard. “C’est pourtant au politique de définir un horizon désirable sur ces questions-là, affirme-t-il. La société va changer : nous devons prendre un décision ensemble sur l’avenir que l’on souhaite, choisir ensemble si l’on désire, ou non, prendre ce chemin technologique-là.”