Nucléaire iranien : Trump plonge le monde dans l’inconnu
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mai 9, 2018
Les visites successives d'Emmanuel Macron, d'Angela Merkel et de Boris Johnsonpour l'en dissuader n'y auront rien fait. Dans un discours prononcé mardi soir depuis la Maison-Blanche, le président américain Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, qui avait été pourtant arraché de haute lutte par les grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) et la République islamique, en juillet 2015, mettant fin à treize ans d'une crise diplomatique unique, démarrée en 2002 avec la révélation d'un programme nucléaire clandestin en Iran.
« Le fait est que c'est un accord horrible et partial qui n'aurait jamais dû être conclu, a martelé le président américain. Il n'a pas apporté le calme. Il n'a pas apporté la paix. Et il ne le fera jamais. » Première mesure décidée par le pensionnaire de la Maison-Blanche, le rétablissement des sanctions américaines unilatérales liées au programme nucléaire iranien (contre la banque centrale iranienne et surtout les ventes de pétrole iranien, NDLR). « Nous allons instituer le plus haut niveau de sanctions économiques », a averti le président américain en rappelant qu'il était déterminé à « empêcher l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire ».
Accord gagnant-gagnant ?
« Les mesures contre la banque centrale iranienne n'auront que des conséquences limitées, car, depuis la conclusion de l'accord sur le nucléaire, elle n'a pas pu véritablement rétablir de liens avec le système bancaire international », rappelle au Point depuis Téhéran Hamze Safavi, professeur de sciences politiques, membre du Conseil scientifique de l'université de Téhéran et directeur de l'Institut pour les études futures du monde islamique (IIWFS). « En revanche, les sanctions contre les exportations iraniennes de pétrole auront des effets importants. » En effet, l'accord sur le nucléaire iranien, également connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), a permis à l'Iran de doubler ses ventes de pétrole (à 2 millions de barils par jour), lui permettant d'engranger 56 milliards de dollars pour l'exercice 2016-2017.
En échange, l'Iran a drastiquement réduit ses activités nucléaires sensibles. La République islamique s'est engagée à ne conserver qu'une seule usine d'enrichissement d'uranium, celle de Natanz (au centre de l'Iran), où elle ne peut enrichir qu'à 3,67 % pendant quinze ans (un taux supérieur à 90 % est indispensable à la production d'une bombe). Pour s'assurer que la République islamique ne cherche pas la bombe, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a instauré en Iran le système d'inspection le plus poussé jamais soumis à un pays. À onze reprises, l'AIEA, le gendarme du nucléaire mondial qui dépend de l'ONU, a certifié que l'Iran respectait bel et bien ses engagements.
Des « révélations » pas nouvelles
Mais Donald Trump n'en démord pas. Depuis la Maison-Blanche, le président républicain a repris mot pour mot les propos prononcés la semaine dernière par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui a exposé dans un grand « show » à l'américaine ses « preuves » des mensonges iraniens. « Au cœur de l'accord iranien, a rappelé le président américain, il y avait un énorme mythe selon lequel un régime meurtrier ne cherchait qu'un programme pacifique d'énergie nucléaire. (…) Aujourd'hui, nous avons la preuve définitive que la promesse iranienne était un mensonge. »
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Problème, les « révélations » israéliennes ne sont pas nouvelles. Elles rappellent ce que savaient déjà les services de renseignements occidentaux et l'AIEA, à savoir que la République islamique, malgré ses dénégations répétées, a développé entre 1999 et 2003 les prémices d'un programme nucléaire militaire visant à produire cinq têtes nucléaires. Sous la pression des Occidentaux, déjà engagés à l'époque dans des discussions avec Téhéran, l'Iran avait finalement suspendu ses recherches en 2003. Ces révélations, portées en 2008 à la connaissance de l'Agence internationale de l'énergie atomique, et qui ont fait l'objet d'un rapport de l'AIEA en 2011 (et d'une évaluation finale en 2015), ont alimenté les doutes quant à la sincérité de l'Iran, qui jure ses grands dieux ne vouloir développer que du nucléaire civil (ce que lui garantit le traité de non-prolifération nucléaire qu'il a signé en 1970). Elles ont fini de convaincre l'AIEA de l'urgence du règlement de la crise du nucléaire iranien par la voie diplomatique, pour éviter une nouvelle guerre au Moyen-Orient.
Des sanctions maintenues
« Cet accord n'est pas fondé sur la confiance. Il est fondé sur les vérifications », avait souligné en juillet 2015 Barack Obama lors de la signature du JCPOA, rappelant à l'époque que les inspecteurs de l'AIEA auraient « un accès 24 heures sur 24 aux installations nucléaires iraniennes clés ». Or en aucun cas les documents israéliens ne viennent apporter de preuves de violations par l'Iran de l'accord. D'ailleurs, le ministre israélien du Renseignement en personne a confirmé à la radio militaire israélienne que, « jusqu'à présent, les Iraniens respectent l'accord de 2015 ».
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Ce n'est pourtant pas le cas de tous les pays signataires. Ainsi, les États-Unis ont maintenu certaines sanctions relatives aux violations des droits de l'homme en Iran, à son « soutien au terrorisme » et à ses activités balistiques. Ce faisant, Washington a également fait pression sur les entreprises européennes – notamment les banques – qui possèdent des avoirs aux États-Unis ou commercent en dollars afin qu'elles n'investissent pas en République islamique, sous peine de sanctions.
Contrairement à l'Iran, l'un des pays signataires (les États-Unis, NDLR) n'a pas respecté ses engagements en vertu de l'accord. Or ce pays se retire aujourd'hui unilatéralement de l'accord, et en réclame un nouveau ? Et vous souhaitez que la République islamique lui fasse confiance ?
D'ailleurs, quelques minutes à peine après la déclaration présidentielle de Donald Trump, son nouveau conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, a douché les espoirs des entreprises étrangères intéressées par le marché iranien. Précisant que les sanctions américaines rétablies par le président américain prenaient effet « immédiatement », ce faucon, partisan d'un changement de régime à Téhéran, n'a donné que quelques mois aux sociétés déjà implantées en Iran pour plier bagage, ou se voir barrer l'accès au marché américain. Selon le secrétariat au Trésor, ce délai serait de quatre-vingt-dix à cent quatre-vingts jours.
« Contrairement à l'Iran, l'un des pays signataires (les États-Unis, NDLR) n'a pas respecté ses engagements en vertu de l'accord, fulmine un diplomate moyen-oriental qui a requis l'anonymat. Or ce pays se retire aujourd'hui unilatéralement de l'accord, et en réclame un nouveau ? Et vous souhaitez que la République islamique lui fasse confiance ? »
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Une nouvelle négociation illusoire
C'est un des paradoxes de l'annonce de Donald Trump. S'il n'a pas hésité à qualifier la République islamique de « principal sponsor étatique de la terreur », des propos rappelant la rhétorique guerrière du « regime change » chère à George W. Bush, le chef de l'État américain a semblé ouvrir la voie à un nouvel accord, plus vaste, avec les mollahs. « Le fait est qu'ils vont vouloir conclure un accord nouveau et durable, un accord qui bénéficierait à tout l'Iran et au peuple iranien. Quand ils (seront prêts), je serai prêt et bien disposé », a indiqué Donald Trump en fin de discours. Et de préciser ses intentions : « Cela comprendra des efforts pour éliminer la menace du programme de missiles balistiques pour stopper ses activités terroristes à travers le monde et pour bloquer ses activités menaçantes à travers le Moyen-Orient. »
Au début des négociations avec l'administration Obama en 2013, le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, véritable chef de l'État iranien, avait fait part de son manque de confiance envers l'« ennemi américain ». Mais il avait finalement cédé aux demandes du président Rohani, fraîchement élu, qui l'avait convaincu de laisser sa chance à la diplomatie. Après le retrait américain de l'accord, pourtant endossé par le Conseil de sécurité de l'ONU, une nouvelle négociation paraît aujourd'hui plus qu'illusoire.
« Il n'y aura pas de nouvel accord, estime l'ancien ambassadeur de France en Iran François Nicoullaud. Ils (les Iraniens) ne vont pas se retirer de Syrie maintenant (alors qu'ils ont quasiment remporté la partie, NDLR). Sur le balistique, ils n'ont aucune raison d'accepter de restreindre leur programme, et être ainsi le seul pays à le faire dans la région. Après tout, l'Arabie saoudite possède tout un parc de missiles capables de frapper Téhéran ou Tel-Aviv. Or personne ne leur a jamais demandé le moindre contrôle. »
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Quid des Européens ?
À Téhéran, le retrait américain a créé une onde de choc. « À partir de cet instant, l'accord nucléaire est entre l'Iran et cinq pays », a déclaré à la télévision d'État le président iranien Rohani, qui a accusé le président Trump de « mener une guerre psychologique contre l'Iran ». Loin d'accueillir favorablement le « nouveau deal » américain, le président iranien a, au contraire, indiqué qu'il discuterait avec les autres pays signataires (Européens, Russes et Chinois) de l'intérêt de l'Iran à rester dans le présent accord. Autrement dit, Téhéran va mesurer au cours des prochaines semaines la volonté et la capacité de ces États à faire fi des sanctions américaines en poursuivant leurs activités commerciales en Iran. « Les Européens ont toujours été assez peureux et se sont alignés sur les Américains, relève néanmoins François Nicoullaud. Si Trump tape trop fort à leur portefeuille, il pourrait y avoir un vent de révolte. Mais une chose est sûre, les Européens ne se brouilleront pas avec les États-Unis uniquement pour les beaux yeux des Iraniens. » En cas d'échec, Hassan Rohani a indiqué que son pays reprendrait l'enrichissement d'uranium « sans limites ». Et sortirait donc à son tour de l'accord sur le nucléaire iranien.
« Ce qui est certain, c'est que le retrait américain, qui a brisé la confiance en l'Occident, va pousser l'Iran vers des activités que les Occidentaux désapprouvent, prédit le professeur de sciences politiques Hamze Safavi. Tous ceux qui, dans le pays, étaient favorables aux négociations ont perdu leur crédibilité. Au contraire, tous ceux qui militaient pour la confrontation avec l'Occident vont voir leur pouvoir renforcé. Pour assurer sa sécurité, la République islamique va accélérer les activités relatives à la technologie nucléaire, peut-être même songer à acquérir des armes stratégiques de dissuasion. » Le monde est prévenu.