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Lula, l’icône fracassée

Écrit par sur mars 17, 2016

L’ex-président, mouillé dans un scandale de corruption, a trouvé refuge au gouvernement avant d’être suspendu, dès jeudi, par la justice.Les mythes peuvent aussi mourir. D’un coup, Luiz Inácio Lula da Silva, l’ex-président du Brésil (2003-2011) qui avait quitté le pouvoir auréolé de gloire, n’est plus qu’un homme politique comme les autres, éclaboussé par des affaires de corruption, voire soupçonné d’enrichissement personnel. Le chef historique du Parti des travailleurs (PT), acclamé dans le monde entier pour son charme, son charisme, son succès – sous ses deux mandats, il a tiré quelque 40 millions de Brésiliens de la pauvreté -, tente d’échapper à la prison : ce scénario était impensable, même pour ses adversaires.

Mercredi soir, le quiz qui agitait les réseaux sociaux consistait à deviner qui est l’auteur de cette phrase : «Au Brésil, quand un pauvre vole, il va en prison, mais quand un riche vole, il devient ministre.» Réponse : un certain Lula. Cette sortie de 1988, alors qu’il était le leader incorruptible de l’opposition de gauche, ses détracteurs la retournent désormais contre lui. En effet, il est accusé d’avoir accepté le poste de chef de cabinet de sa protégée, la présidente Dilma Rousseff, pour se soustraire à l’implacable Sérgio Moro, le magistrat en charge de l’enquête sur le Petrolão : un énorme scandale de détournement de fonds chez Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, au profit du PT, au pouvoir depuis treize ans, et de deux de ses alliés. Lula, 70 ans, est mis en cause dans l’affaire. Or, les ministres ne sont pas jugés par les juridictions de droit commun, mais par la Cour suprême, réputée plus lente et moins sévère. L’annonce de son entrée au gouvernement, trois jours après les manifestations qui ont réuni, dimanche, au moins 1,5 million de personnes dans tout le pays contre le PT, a été perçue par les médias comme une provocation, voire un coup d’Etat. Des Brésiliens furieux sont aussitôt descendus dans la rue aux cris de : «Lula, voleur, ta place est en prison !» Mais il n’est pas certain que la manœuvre réussisse : mercredi, un juge de Brasília a ordonné la suspension provisoire de son entrée au gouvernement, par une ordonnance en référé.

«Battement de casseroles»

Sur l’affaire judiciaire, les enquêteurs affirment détenir des «indices très significatifs» des largesses dont aurait bénéficié Lula de la part d’entreprises du BTP, les empreiteiras, accusées d’avoir surfacturé leurs contrats avec Petrobras pour mieux financer la coalition au pouvoir. Ces empreiteiras auraient payé des travaux entrepris dans un triplex en bord de mer et une maison de campagne dont Lula – qui le nie – serait le réel propriétaire. Elles ont également versé quelque 30 millions de reals (plus de 7 millions d’euros) entre 2011 et 2014 à l’institut Lula et à la société qui gère les activités de conférencier de l’ancien chef de l’Etat. Une partie de cette somme (un million) a échoué sur les comptes d’une société détenue par un des fils de l’ex-président.

Et ce n’est pas tout. En cause lui aussi dans le Petrolão, le sénateur Delcídio do Amaral, ex-chef du bloc PT au Sénat, accuse Lula et Rousseff d’avoir tenté d’entraver la justice. Désormais, l’enregistrement par la police fédérale d’une conversation entre l’actuelle cheffe de l’Etat et son prédécesseur, tenue mercredi, semble confirmer le pire : Lula aurait accepté un portefeuille pour se mettre à l’abri de Sergio Moro, qui devait en principe se prononcer sur une demande de mise en examen et détention préventive de l’ex-président.

Il est 13 h 32, mercredi, quand Dilma Rousseff appelle son mentor, à ce stade déjà confirmé comme son futur chef de cabinet. Elle lui annonce qu’elle lui fait porter son décret de nomination. «Tu ne t’en serviras que si nécessaire», précise-t-elle. Pour l’opposition, c’est bien la preuve que cette nomination n’est destinée qu’à permettre à Lula d’échapper au juge Moro. D’autant que la prise de fonctions de l’ex-président avait été opportunément anticipée d’un jour avant d’être suspendue à cause de la mobilisation de la rue. Saisi par une association médicale, le juge de Brasília a corroboré mercredi la thèse de la manœuvre juridique en faveur de l’ex-président. Le tout, alors qu’un panelaço («battement de casseroles») retentissait dans les beaux quartiers.

La droite, d’abord intimidée par le prestige de l’ex-président, s’est réveillée. Timidement d’abord, pendant la grogne sociale de juin 2013. Puis ouvertement depuis la réélection de Dilma Rousseff, fin 2014. Les révélations dévastatrices de l’enquête Petrobras, savamment divulguées dans la presse, alimentent la révolte des coxinhas, les fils à papa, comme dit la gauche pour discréditer ses opposants. Un Lula gonflable de 2 mètres de haut, habillé en bagnard, fait son apparition dans les défilés. Le PT dénonce une chasse aux sorcières orchestrée par «le camp conservateur» afin de mettre son héros hors-jeu pour la présidentielle de 2018.

«Désormais, même ses partisans ont un doute», résume un éditorialiste de la Folha de São Paulo. Comme Antonio, qui a voté pour lui les cinq fois où il s’est porté candidat depuis 1989. «Quel gâchis !, répète ce chauffeur. Lula aurait pu entrer dans l’histoire.» La geste de l’enfant pauvre venu du Nordeste déshérité qui a «failli mourir de faim» a fait rêver toute une partie de la société brésilienne. Son histoire est celle d’un gamin obligé d’interrompre sa scolarité pour aider une mère qui élevait seule huit enfants, en devenant cireur de chaussures et vendeur de cigarettes dans les rues de São Paulo. L’ex-ouvrier tourneur à l’auriculaire sectionné par une machine est devenu ensuite le leader syndical qui défia la dictature militaire à coup de grèves monstres. Puis il y eut l’homme d’Etat dont l’irrésistible aura incarna un Brésil conquérant, mais solidaire. «Un ouvrier à la présidence, j’y ai cru,raconte Monica, une cadre sup croisée pendant la manif du 13 mars.C’était un rêve romantique… Mais Lula s’est naïvement laissé séduire par l’argent.»

Le dos au mur, l’animal politique tente de retourner la situation à son avantage. Le mandat d’amener délivré par Sergio Moro contre lui le 4 mars lui a permis de se poser en victime de la justice. «Je me suis senti comme un prisonnier, a-t-il lâché de sa voix rauque, entouré de ses partisans. Mais le serpent n’est pas mort.» Son extraordinaire résilience politique – il essuya trois défaites successives avant de se faire élire, fin 2002 – est mise à l’épreuve comme jamais. Même si, rappellent ses avocats, Lula ne fait pas (ou pas encore) l’objet de poursuites. «S’il est arrêté, c’est un homme mort et il emportera dans sa chute le PT et toute la gauche, analyse le sociologue Rudá Ricci. Mais s’il est blanchi, il peut rebondir.»

Le souvenir des années fastes

Alors que le gouvernement de Dilma Rousseff est englué dans une crise économique, politique et morale sans précédent, le PT a joué sa dernière carte, se tournant vers son homme providentiel, son «Pelé», selon le mot d’un ministre. Selon ce calcul, l’«élite blanche» qui manifeste ne représenterait pas grand monde. Les couches modestes sont certes mécontentes, mais contre la «presidenta». De Lula, elles ne gardent que le souvenir des années fastes. L’ex-président ferait ainsi d’une pierre deux coups en devenant ministre. Il se sauverait lui-même et sauverait sa protégée, menacée d’une procédure d’impeachment. «En devenant Président de fait, il reviendrait au pouvoir de droit, dans les bras du peuple, écrit Eliane Cantanhêde, éditorialiste à l’Estado de São Paulo.Mais ça a tourné court. Cette fois, Lula, qui se croit tout permis, a surestimé sa propre force et sous-estimé la gravité de la situation.»

Indéniablement, Sergio Moro a le sens du timing politique. «Au nom de l’intérêt public», le magistrat a levé le secret sur les écoutes autorisées sur la ligne de Lula peu de temps avant d’être contraint de se défaire de son dossier, avec la publication de sa nomination au Journal officiel. La publication de ces enregistrements fait passer la crise à un autre niveau. Car, désormais, la Présidente pourrait être mise en cause pour «faute», ce qui précipiterait sa chute. L’opposition demande déjà sa démission. La procédure de sa destitution par le Congrès devait reprendre son cours au Parlement. Son issue dépendra du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), qui s’est donné un mois pour décider s’il rompt ou non avec le gouvernement.

Une décision difficile pour le parti du vice-président, Michel Temer, soit l’homme appelé à remplacer Dilma Rousseff si elle était destituée. Car le PMDB est lui-même en cause dans le Petrolão. Et son éventuelle arrivée au pouvoir, si la Présidente était chassée, ne le mettrait pas à l’abri d’une autre procédure, devant la commission électorale. Celle-ci pourrait en effet invalider l’élection de 2014 si elle concluait que la campagne du ticket Dilma-Temer a bénéficié de fonds venus du Petrolão. Pendant ce temps, le président du Sénat, Renan Calheiros, tente de mettre sur pied une solution «moins traumatisante» : l’instauration d’un«parlementarisme à la brésilienne» qui maintiendrait Dilma Rousseff en place tout en confiant au Parlement le pouvoir de nommer le Premier ministre.

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