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L’odyssée de Jo-Wilfried Tsonga, retraité après sa défaite à Roland-Garros

Écrit par sur mai 24, 2022

De Coulaines à Melbourne, de Savigné-l’Évêque à Roland-Garros, Jo-Wilfried Tsonga s’est construit l’un des plus remarquables palmarès du tennis français. À 37 ans, après dix-huit saisons chez les pros, le Manceau laisse sur les courts une trace indélébile.

Il y a tant de choses, tant de frissons dans l’air qui s’enfuit. Les mots s’emmêlent, les anecdotes cavalent et l’histoire, doucement, prend forme, dans le lacis des souvenirs époussetés, que chacun convoque, plus ou moins précisément. Mais avec, en creux, toujours, une émotion vive et ce sentiment ancré de se dire qu’il était sacrément joli ce premier pan de vie du colosse sarthois, né presque vieux, tant il était un enfant sage, mais déjà debout sur ses jambes de bambin à 9 mois et demi ! « Il avait, très tôt, des dispositions physiques évidentes, mais aussi de sagesse. Ça paraît bizarre de dire cela pour un enfant et pourtant, c’était le cas. Il était toujours calme. C’était un enfant qu’on n’a jamais eu de mal à endormir, heureux de vivre, ne se plaignant jamais. D’ailleurs, je l’appelais mon “petit homme” », raconte Évelyne, la maman, avec une infinie tendresse.

Trente-sept ans plus tard, son garçon, Jo-Wilfried Tsonga, a soufflé mardi, sur le Central de Roland-Garros, théâtre de ses rêves d’adolescent, la dernière flamme de ses premiers jours. Soulagé d’en être arrivé là, conscient que son corps ne pouvait le porter plus loin, même si l’envie, elle, demeure nichée au fond du ventre, sans doute pour un petit moment encore. « Il avait envie de choisir son moment. 37 ans, c’est une réalité. Quand il va regarder en arrière, il va se dire : “Tout va bien, j’ai eu une super vie de joueur de tennis”. Maintenant, c’est lui, avec lui-même, qui a besoin de gérer ses petits démons, de faire son chemin. Personne ne peut lui enlever cette frustration », raconte sa compagne, Noura, à ses côtés depuis dix ans.

Des premières frappes marquantes avec Didier, le papa

Forcément, il aurait voulu que cela dure encore. Que ce soit comme au temps des premières frappes, avec Didier, le papa, quand il avait 6 ou 7 ans et qu’il lui collait aux semelles. Universitaire, chercheur en chimie, ancien international de handball au Congo Brazzaville, son pays natal, Tsonga senior, classé 15, jouait aussi les animateurs de tennis dans les clubs ruraux aux alentours de la maison familiale à Savigné-l’Évêque et à l’Université. Le petit « Jo » ne manquait pas une occasion de se greffer, jusqu’à se faire très vite détecter. « Ce qui était marquant, c’est qu’il frappait très fort dans la balle et elle restait dans le court, quand les autres enfants frappaient doucement pour qu’elle reste dans le terrain », sourit son père aujourd’hui.

Ce fut alors le premier club, les 3 Vallées à Coulaines, où Joël Cruchet, puis Franck Lefay façonnèrent le jeune garçon entre 8 et 13 ans. À l’époque, les parents sont attentifs mais ils n’interfèrent pas. « J’allais le chercher à l’école à Savigné-l’Évêque pour l’emmener à l’entraînement. Je le ramenais d’abord chez lui et il prenait le goûter avec son frère (Enzo) et sa soeur (Sarah) dans la cuisine. Bien plus tard, Jo m’a dit qu’il se souvenait que j’allais le chercher dans une Skoda rouge », raconte Joël Cruchet.

« Pour moi, c’était un déchirement. Ça laisse une espèce de vide qui, de mon côté, n’est jamais comblé »

Évelyne Tsonga, la maman

Tsonga s’amuse et court après le temps. Licencié également au club de foot de Savigné-l’Évêque, meilleur buteur de la Sarthe en -12 ans, il est dans le tourbillon. « Jo, c’était une joie de jouer, le plaisir », se remémore Franck Lefay. « Il avait toujours envie de travailler, il était joyeux, au taquet tout le temps. Des mômes comme ça à entraîner, c’est royal. » Même s’il ne casse pas tout dans sa tranche d’âge, sa puissance, son coup droit et son service, déjà, en font un candidat aux Pôles. À 12 ans, la FFT veut l’envoyer à Poitiers. La maman refuse. Un an plus tard, c’est Tsonga lui-même qui va convaincre sa mère de le laisser partir, après avoir longtemps fait tourner les boules dans le saladier, entre le foot et le tennis. « Sa carrière s’est jouée à peu de choses », rigole aujourd’hui Enzo, son frère. « À l’époque, le président du club de foot de Savigné cachait les lettres que le centre de formation du Muc 72 envoyait au club pour ne pas qu’il parte ! S’il va au Muc, je pense qu’il fait footballeur. »

Ce sera donc le tennis. Une carrière à la bagarre, hérissée de blessures, ponctuée de 18 titres, d’une finale en Grand Chelem à Melbourne en 2008, de moments de bonheur extatique, comme cette semaine irréelle à Toronto en 2014, où il essore tour à tour Djokovic (n°1), Murray (n°8), Dimitrov (n°7) et Federer (n°2) en finale pour remporter son deuxième Masters 1000 ! Ce sera aussi une carrière au port des angoisses. Celle d’une mère, qui lâche son fils de 13 ans, seul à Poitiers, transie de tristesse et de doute. « Ça laisse des traces. Des traces indélébiles. Pour moi, c’était un déchirement. Ça laisse une espèce de vide qui, de mon côté, n’est jamais comblé. Le trajet retour, c’est en silence total, avec une boule énorme dans la gorge, pas sûre du tout d’avoir pris la bonne décision », confie Évelyne.

Pourtant, dans un acte manqué savoureux, quelques années plus tard, c’est elle qui va ôter la dernière chape et laisser son ado filer sans impedimenta vers son destin. Tsonga a 17 ans. Sa mère, qui doit l’emmener passer le bac de français à Paris, se perd en chemin. Arrivé en retard, l’ado ne le passera jamais. « À l’époque, je n’avais pas de GPS, on a tourné en rond pour trouver l’endroit et on est “arrivés à arriver en retard”. Je dis qu’on est “arrivés à arriver en retard”, parce qu’après, en travaillant sur moi, j’ai bien compris que j’avais juste envie que ça s’arrête pour Jo. Je savais qu’il avait quelque chose à faire dans le tennis. Au retour dans la voiture, j’ai tout de suite senti le soulagement que ça lui apportait. »

« C’était un chantier énorme. Le matin pour se lever, il se mettait à quatre pattes et il était obligé de marcher ainsi sur dix mètres pour pouvoir dérouler sa colonne vertébrale »

Michel Franco, le kiné

Mais tout aurait pu s’arrêter très vite. Dès fin 2004. Satanée hernie discale. Tsonga n’a pas vingt ans, il est cloué et sa carrière est déjà un conte défait. Certains médecins lui prédisent une histoire courte. Mais le bonhomme va lutter, mué par tous les moteurs possibles et une ambition irréfragable. Socialement, il veut mettre au plus vite sa famille à l’abri. Tennistiquement, son coup droit et son service peuvent plier n’importe qui. Quand son dos craque, le DTN d’alors, Patrice Dominguez, ne le lâche pas et Eric Winogradsky devient son premier coach sur le circuit professionnel. Il l’accompagnera sept ans durant.