JEUX OLYMPIQUES – AGBEGNENOU, BARSHIM – TAMBERI, LE CONTRE DE BATUM, BILES : NOS COUPS DE COEUR DES JO DE TOKYO
Écrit par Jonathan PIRIOU sur août 9, 2021
27 juillet. Le scénario rêvé, au bout d’une journée parfaite. Cinq ans après sa défaite en finale à Rio face à Tina Trstenjak, Clarisse Agbegnenou prend sa revanche contre la Slovène pour décrocher le seul titre qui manquait à son palmarès déjà XXL. Au-delà du résultat, il y a deux aspects. La manière : celle d’une judokate qui avait clamé haut et fort son ambition et qui a assumé en patronne. En championne. Et la réaction de la Française : les larmes instantanées, un visage qui se relâche enfin après des heures de concentration extrême. Et le câlin à sa rivale, dans la foulée. Mettez tout ça bout à bout, et cela donne une sacrée dose d’émotions. Rage de vaincre, fierté, soulagement. Tout s’est mélangé chez elle bien sûr, mais un peu chez nous, aussi. Les frissons étaient là. La poussière dans l’œil aussi.
LE CHEF-D’ŒUVRE DES SPORTS COLLECTIFS
Il m’aurait été impossible de prévoir un tel succès des équipes de France de basket, de handball et de volley. Cinq équipes, quatre finales olympiques pour trois titres plus une 3e place : c’est tout simplement dingue. Il y a eu des exploits en basket (victoire face aux Etats-Unis avant une finale serrée), l’incroyable épopée des handballeuses, passées tout près de sortir dès le premier tour, mais la palme d’or, si j’ose dire, revient aux volleyeurs.Eux aussi sont sortis de justesse de leur groupe, malgré une défaite hallucinante face au Brésil (39-37 dans le 2e des 5 sets !!). Ils ont ensuite tombé les champions du monde polonais en quarts au terme d’un match dantesque, ce qui aura sans doute été leur signature finalement dans ses JO puisqu’ils n’ont pas pu s’empêcher d’attendre cinq sets pour s’offrir leur premier titre olympique ! Juste énorme.
ONZE MINUTES D’ÉTERNITÉ
L’Italie a vécu un fol été. De Wembley à Tokyo, la botte a vibré comme rarement. Voire comme jamais. Parce que les Italiens, arrivés sans certitudes, ont bousculé les nôtres. Champions d’Europe de football après avoir raté la dernière Coupe du monde, ils ont surtout vécu un autre dimanche dingo, le 1er août. Sans doute le plus fou et le plus beau de toute leur histoire. Et tout s’est décidé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire : onze minutes, qu’on aurait bien étirées si Yulimar Rojas – auteure du record du monde du triple saut en préambule – avait partagé le même passeport que Gianmarco Tamberi et Lamont Marcell Jacobs.Tamberi a été sacré champion olympique du saut en hauteur, après un dénouement improbable. A égalité parfaite avec Barshim, l’Italien a décidé, avec le Qatari, de se partager l’or, ce qui nous a offert une scène aussi unique que réjouissante. Tamberi était encore en train de fêter son sacre quand, posté au bout de la ligne droite, il a stoppé le train Jacobs lancé vers l’éternité et un premier sacre olympique sur 100 mètres, au terme des 9”84 les plus étonnantes de l’histoire des Jeux sur la ligne. La folie aura duré onze minutes. Elle est gravée dans l’éternité.
UN 400M HAIES HORS DU TEMPS
Les moments d’histoire ne se commandent pas. Et pourtant. Il était 5h20, heure française, en ce 3 août 2021, et j’étais convaincu qu’il allait se passer quelque chose de grand. Mais ce 400m haies a tout de même réussi à m’ébahir. Karsten Warholm a ringardisé la “barre des 47 secondes”. C’est celle des 46 secondes qu’il a fait tomber, abaissant de 76 centièmes son record du monde. Mais le plus fascinant est que son duel avec Rai Benjamin a été si haletant qu’il en a, longtemps, occulté la course contre l’horloge dans mon esprit.Jusqu’à la clôture du débat, actée par un meilleur franchissement de la dernière haie par le Norvégien. Il était alors temps de jeter un œil au chrono. Puis de se frotter les yeux pour y croire. L’impact des progrès technologiques sur la portée de cette course légendaire se mesurera sans doute au fil des années. Mais le souvenir qu’elle me laissera est impérissable.
LE SACRE COLLECTIF DES JUDOKAS FACE AU JAPON Un décor mythique. Une affiche de rêve. Un esprit d’équipe dans une compétition individuelle. Et un scénario hollywoodien. En ce 31 juillet, les Avengers étaient en kimono dans le Nippon Budokan. Et ils étaient français. Avant cette finale, il y a eu ce quart de finale si stressant face à Israël et ce finish, au golden score, d’une Margaux Pinot passée à côté de ses JO en individuel. Déjà un grand moment.
La suite fut encore plus grandiose. La reine Clarisse Agbegnenou pour lancer les siens, dominant la championne olympique de la catégorie supérieure. Le soldat Clerget pour donner un point précieux. Le patron Riner pour confirmer son envergure immense. Et la jeune Léonie-Cysique pour clore le spectacle et faire vibrer une nation entière. De ses champions invincibles, on retiendra la joie de gamins amoureux de leur sport, si noble et si beau. Ils nous ont tous fait vibrer en individuel. Mais ce sacre collectif, au Japon, sur une épreuve au format alléchant, ce fut au-dessus de tout.
Décrocher une médaille en individuel, c’est fort. Le faire deux fois, c’est très fort. Le faire une troisième fois, après avoir complètement délaissé sa discipline durant une période particulièrement longue à l’échelle d’un sportif (plus de deux ans), c’est tout simplement unique. Ce qu’a réussi Florent Manaudou, en argent sur le 50m nage libre derrière l’intouchable Caeleb Dressel, est remarquable. La manière, elle, a eu quelque chose de rafraîchissant.Le nageur du CN de Marseille n’avait pas spécialement bien vécu les Jeux de Rio, où son statut de favori fut quelque peu difficile à supporter. A Tokyo, le champion olympique de Londres est venu sans prétention. Pour “prendre du plaisir“, comme il l’a répété à chaque fois qu’il sortait du bassin, souriant et détendu. Pour nous, c’était déjà franchement agréable à voir et à entendre. Alors, lorsque cet état d’esprit et son talent l’ont mené vers une médaille surprise qui a illuminé l’une de nos nuits tokyoïtes, on a vraiment apprécié. Moi le premier.
Le CIO s’est doté d’une nouvelle devise olympique avant les festivités tokyoïtes : “plus vite, plus haut, plus fort – ensemble“. Y’avait-il une meilleure manière de l’imprégner dans ces JO 2020 que le moment de partage que nous ont offert Gianmarco Tamberi et Mutaz Essa Barshim au concours de saut en hauteur ? Dans un concours de très belle facture, l’Italien et le Qatari ont signé le concours parfait jusqu’à 2,39m. Au niveau du record olympique, ils ont poursuivi leur parfaite égalité par trois échecs.La suite, c’est l’histoire de deux athlètes, deux amis surtout qui se connaissent par cœur, et savent le poids d’un titre olympique. Barshim courrait après depuis les Jeux de Londres, avec le bronze en 2012 et l’argent à Rio en 2016. Tamberi, lui, avait vu ses espoirs de breloque s’évanouir en 2016 suite à une grave blessure juste avant les Jeux, lui qui avait gagné tous les concours ou presque auxquels il avait pris part avant l’échéance brésilienne. Alors plutôt qu’un saut de barrage, les deux hommes ont échangé une étreinte complice, et anticipé le discours de l’arbitre assesseur. “Can we have two golds ?”, “Peut-on avoir deux médailles d’or ?” demande Barshim. L’officiel acquiesce, les deux concurrents se tapent dans la main, le sourire jusqu’aux oreilles. Le Transalpin exhulte, se roule à terre, se relève et tombe à nouveau : le bonheur à en perdre la raison. Les athlètes ont choisi leur sort, un destin doré dans l’éternel. THIBUS, BLAZE, RANVIER ET LE THRILLER DE LA QUINZAINE
Ysaora Thibus, Anita Blaze et Pauline Ranvier ont écrit le plus palpitant scénario de ces JO. Dans une après-midi à en perdre la raison, elles ont renversé les championnes olympiques italiennes, grandes favorites au titre, en demi-finale du fleuret par équipes. Et pourtant, on pensait les Bleues définitivement condamnées quand, à 20 touches à 9, les Italiennes leur marchaient dessus comme attendu. Après tout, c’était l’ordre des choses.Mais le trio de guerrières s’est battu contre la fatalité. Elles n’étaient sans doute plus que trois à y croire à ce moment-là. Mais, peu à peu, elles ont grignoté leur retard jusqu’à l’impensable. Cet assaut final d’Ysaora Thibus (8-3), cette inespérée et déraisonnable victoire de deux petites touches (45-43) et cette médaille, en argent finalement, la première pour le fleuret féminin tricolore depuis 1984. L’ascenseur émotionnel qu’il ne fallait pas rater pendant ces JO. Merci mesdames.
Naît-on volleyeur ? Dans le cas de Laurent Tillie, le doute est permis. Difficile de faire plus passionné que le sélectionneur de l’équipe de France qui, au bout d’un mandat de neuf ans, aura mené les siens du quasi-néant au titre olympique. Et sur le chemin de ce sacre épique, une séquence a marqué les esprits. Habité comme ses joueurs lors du quart de finale victorieux face aux Polonais, doubles champions du monde en titre, le coach est sorti de sa traditionnelle réserve.Dans l’euphorie d’un tie-break d’anthologie, il a symbolisé cette volonté absolue de ne rien lâcher sur chaque ballon. Un esprit de corps symbolisé par un plongeon désespéré pour sauver un point pourtant d’ores et déjà perdu sur un block-out. L’espace d’un instant, Tillie a oublié ses 57 ans, pour le simple amour du jeu. Relevé en un clin d’œil, le sourire en coin, comme conscient que rien ne pouvait plus arriver aux Bleus dans ce match, il a ensuite confié avoir voulu “faire le show”. Rien ne pouvait mieux représenter le credo de cette équipe emballante entre plaisir, spectacle et solidarité à toute épreuve.
De la tragédie à la gloire. Voilà comment Nicolas Batum a, du bout de son bras droit, changé le destin des Bleus dans ce tournoi olympique. Dans les ultimes secondes de la demi-finale face à la Slovénie, l’équipe de France mène 90-89. Klemen Prepelic s’infiltre dans la raquette tricolore et n’est pas attaqué. L’arrière a un boulevard devant lui pour mettre un panier à deux points et sceller la victoire slovène.Derrière nos écrans, cela ne fait aucun doute : la Slovènie va se qualifier pour la finale des Jeux Olympiques et laisser des regrets éternels aux Français. Mais Nicolas Batum en a décidé autrement. Le capitaine tricolore prend ses responsabilités, s’élève et réalise un contre décisif sur Prepelic. Dans la foulée, la fin du match est sifflée et les Bleus sont qualifiés. Batum était le seul Bleu sur le parquet capable de sauver les siens dans ce moment crucial. Et il a pris ses responsabilités. Désormais, son contre appartient au panthéon du basket français.