Jean-Michel Lambert “bouffé”, “meurtri”, “marqué à vie” par l’affaire Grégory
Écrit par Jonathan PIRIOU sur juillet 12, 2017
Le juge Jean-Michel Lambert, qui avait conduit l'enquête sur Grégory Villemin, garçon retrouvé noyé pieds et poings liés dans une rivière des Vosges le 16 octobre 1984, a été retrouvé mort mardi soir.Bouffé", "meurtri", "marqué à vie". Le juge Jean-Michel Lambert, retrouvé mort mardi à son domicile, a été désigné comme l'un des responsables du fiasco judiciaire de l'affaire Grégory avant de retomber dans l'anonymat des prétoires et de se consacrer à l'écriture.
"Le petit juge" a 32 ans quand on retrouve, le 16 octobre 1984, le cadavre de Grégory Villemin, quatre ans, ligoté dans la Vologne. Il est alors le seul magistrat instructeur à Epinal (Vosges), son premier poste, sous le regard d'une presse surexcitée.
"J'y pense avec révolte"
Ses lunettes d'étudiant en droit, ses costumes gris trop larges pour l'une des plus grandes énigmes criminelles françaises du XXe siècle, font rapidement la une des médias.Je n'étais pas trop jeune, mais débordé. J'avais des centaines de dossiers à traiter. Au début, je n'ai pas pu accorder toute l'attention qu'elle méritait à cette affaire", assurait-il dans un entretien à l'AFP en 2014.
"C’est une affaire qui m’a accompagné tout au long de ma carrière et de ma vie", disait-il la même année à BFMTV, expliquant y penser avec "révolte". "Une autre dimension a été très importante: la pression médiatique. Avoir travaillé sous haute tension comme je le dis dans mon livre, ça ne m’a pas empêché de faire mon travail le mieux possible", ajoutait-il.
Inculpations et incarcérations infructueuses – celle de Bernard Laroche puis de Christine Villemin, la mère de l'enfant -, investigations bâclées, erreurs de procédure, violation du secret de l'instruction : pour beaucoup, le magistrat était en partie responsable de ce fiasco.
"Focaliser l'attention sur ce seul juge Lambert a permis d'atténuer l'échec de l'institution judiciaire" dans son ensemble, estimait en 2014 Paul Prompt, ex-avocat de la famille Laroche, décédé en février 2017.
Placardisé
"Il ne maîtrisait pas la procédure. Certains de ses actes ont eu des conséquences irréparables", relevait toutefois Laurence Lacour, qui a couvert l'affaire pour la radio Europe 1 et en a tiré un livre, "Le Bûcher des innocents".
Trente ans après l'assassinat de Grégory, Jean-Michel Lambert se disait toujours persuadé de l'innocence de Bernard Laroche, laissant planer le doute sur Christine Villemin, mise hors de cause par la justice.
Il admettait que cette affaire l'avait "bouffé, meurtri, marqué à vie". "J'avais des accès de boulimie, je voyais se profiler une dépression, racontait l'ancien magistrat, dessaisi du dossier Grégory en 1986.
Il ne reviendra jamais à l'instruction. Nommé en 1988 juge du siège à Bourg-en Bresse, dans l'Ain, il part en 2003 au tribunal de grande instance du Mans, où il terminera sa carrière.
Jean-Michel Lambert s'était aussi consacré à l'écriture. Son premier ouvrage, "Le Petit Juge", provoque un scandale lors de sa sortie trois ans après l'assassinat. Il y évoque son "atonie sexuelle" pendant qu'il instruisait le dossier Grégory, "le charme étrange" de Christine Villemin, ses larmes lorsqu'il l'a inculpée de l'assassinat de son fils.
"Nous sommes tous amenés à commettre des fautes"
Par la suite, il avait publié une dizaine de livres, essais ou romans, aux titres déroutants: "Regards innocents", "Confession fatale", "Scrupules", "Un Monde sans vérité"… Certains ont rencontré le succès comme "Purgatoire", prix Polar du festival du roman policier de Cognac en 2001.
En 2014, année de son départ à la retraite, il avait sorti un dernier ouvrage: "De combien d'injustices suis-je coupable?". "C'est un mea culpa, mais tous mes pairs pourraient suivre la même démarche. Nous sommes tous amenés à commettre des fautes", expliquait-il s'en s'épancher davantage.
Rien ne le prédestinait à hériter d'un dossier aussi colossal que l'affaire Grégory. Né en 1952 à Jarnac (Charente), le jeune homme s'oriente vers la magistrature pour "protéger le citoyen et plonger au coeur des réalités les plus dures et les plus sombres". Il sera servi.
Ces dernières semaines, les projecteurs s'étaient de nouveau braqués sur "le petit juge" d'Epinal avec la diffusion d'images d'archives dans les médias, alors que l'affaire Grégory fait de nouveau la une, avec la mise en examen d'un grand-oncle et d'une grande-tante de Grégory ainsi que de Murielle Bolle, l'un des témoins-clé de l'affaire.