Himalaya : le terrible sauvetage d’Elisabeth Revol
Écrit par Jonathan PIRIOU sur janvier 28, 2018
En difficulté dans la descente du Nanga Parbat, l’alpiniste française a dû faire un choix intolérable mais nécessaire : abandonner son coéquipier, Tomasz Mackiewicz dans un état désespéré, pour tenter de sauver sa propre vie. Elle a été secourue par deux Polonais, qui ont réalisé une ascension extraordinaire.Elisabeth Revol est vivante et hors de danger. L’himalayiste drômoise de 37 ans, très expérimentée, a été héliportée dimanche après-midi depuis le pied du Nanga Parbat (8 126 mètres d’altitude, Himalaya pakistanais) jusqu’à la capitale pakistanaise, Islamabad. Elle souffre de sévères gelures aux orteils et aux mains mais était debout à son arrivée sur le tarmac, solide encore. Elle s’est arrachée de justesse au géant himalayen, après quatre jours d’une descente cauchemardesque, dans des conditions hivernales terribles et avec l’aide d’une équipe d’alpinistes polonais venus à son secours.
Elle venait de réussir la seconde ascension hivernale du Nanga Parbat, l’un des 14 sommets himalayens de plus de 8 000 mètres, réputé pour sa difficulté technique, en compagnie de l’alpiniste polonais Tomasz Mackiewicz, 43 ans, lui aussi chevronné. Jeudi, à 19 heures, alors qu’ils sont en train de redescendre, elle lance via téléphone satellite une alerte : ils sont en difficulté, très haut encore, à 7 450 mètres. Tomasz est en mauvais état : ophtalmie des neiges, gelures.
Décision salutaire
Vendredi matin, Elizabeth donne des nouvelles à Ludovic Giambiasi, son routeur-logisticien depuis Gap (Hautes-Alpes). Elle a réussi à parvenir, avec Tomasz Mackiewicz, à l’altitude de 7 280 mètres, où ils se sont terrés pour la nuit. Tomasz va toujours plus mal, il semble développer des œdèmes pulmonaires et cérébral, stade ultime du mal des montagnes. Sa situation est désespérée.
Elisabeth doit prendre une décision intolérable et pourtant salutaire : abandonner Tomasz pour tenter de sauver sa peau. A cette altitude, dans ces conditions hivernales, il n’y a rien qu’elle puisse faire pour son compagnon. Elle-même est en train geler et de s’affaiblir. Même si un hypothétique secours parvenait jusqu’à l’altitude de 7 200 mètres, elle ne serait d’aucune aide. L’himalayisme est rythmé par ce genre de décisions ; tous ceux qui grimpent là-haut, et plus encore la poignée qui se consacre à l’himalayisme hivernal, le savent et l’acceptent. Il faut descendre. Elisabeth se lance, sans tente, sans nourriture, et sans aucune certitude qu’elle parviendra à survivre. Elle désescalade jusqu’à la nuit et s’abrite tant bien que mal.
«Danger extrême»
Samedi matin, nouveau message : elle est à 6 700 mètres, «elle a des gelures sévères sur 5 orteils du pied gauche», mais «est entièrement lucide». Elle va reprendre sa descente. Une campagne de financement participatif pour l’affrètement des secours héliportés a été lancée. En moins de 24 heures, 60 000 euros sont réunis. L’élite de l’himalayisme polonais est sur un autre 8 000 pakistanais, le K2. Ils sont acclimatés à la haute altitude et prêts à voler au secours de leurs camarades en perdition. Ils sont déposés samedi en fin d’après-midi au pied du Nanga Parbat, le plus haut possible. L’hélicoptère ne peut monter à l’altitude où Tomasz est en train d’agoniser. Deux ténors de l’alpinisme, Denis Urubko et Adam Bielicki, démarrent à la nuit tombante. Ils réalisent une ascension extraordinaire, à bride abattue, sur un terrain très difficile. Dimanche à deux heures du matin, ils rejoignent Elisabeth.
A quatre heures du matin dimanche, ils prennent une décision annoncée par Ludovic : «Urubko et Bielecki vont redescendre avec Elisabeth. Le sauvetage de Tomasz est malheureusement impossible – les conditions météorologiques et l’altitude mettrait la vie des sauveteurs dans un danger extrême. C’est une décision terrible et douloureuse. Notre tristesse est immense.» Dimanche matin, Elisabeth et ses sauveteurs rejoignent le pied de la montagne, où un hélicoptère les attend. Les nuages s’amoncellent, une tempête est annoncée. Elle se chargera d’ensevelir Tomasz Mackiewicz sous le Nanga Parbat, son ultime 8 000 réussi en hiver.