Festival de Cannes – Gus Van Sant : “Beaucoup de bons films se font huer ici”
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mai 17, 2015
Les huées et les mauvaises critiques s'enchaînent contre le nouveau film du réalisateur d'"Elephant", "La Forêt des songes"Les premières huées se sont fait entendre au Palais des festivals. Lors de la projection de presse hier soir, La Forêt des songes de Gus Van Sant a reçu une volée de bois vert, avant d'être gratifié de mauvaises critiques en série qui prennent des airs de massacre à la tronçonneuse. Sur la plage du Majestic, nous avons rencontré ce matin le réalisateur – lauréat de la Palme d'or en 2003 pour Elephant -, d'humeur bougonne, mais visiblement pas désarçonné par cet accueil cannois.Pourquoi, avec ce film, vous être aventuré à Aokigahara, au pied du mont Fuji, dans une forêt célèbre pour le nombre de ses suicidés ?
Gus Van Sant : C'est un documentaire de Vice Magazine qui m'a fait connaître cette forêt. Historiquement, c'était un endroit où les gens amenaient les anciens et les laissaient mourir entre les arbres, ce qui semble atroce. Mais depuis les années 1950, Aokigahara est, avec le pont du Golden Gate, l'un des endroits où l'on se suicide le plus au monde. Cela concerne bien sûr les Japonais, mais il y a aussi des étrangers qui viennent là car ils ont découvert l'existence du lieu sur Internet. Une forêt avec tant d'histoires ne peut qu'être fascinante pour un cinéaste.
Comme son personnage dans La Forêt des songes, Matthew McConaughey expérimente lui aussi une renaissance après une série de comédies romantiques qui ressemblaient à des suicides artistiques…
On est au milieu d'un phénomène incroyable. Seul Matthew est en mesure de l'expliquer. Mais de mon point de vue, il a juste commencé à choisir des rôles qu'il aimait vraiment, ce qui est en fait une chose très simple. À partir de là, les bonnes nouvelles se sont accumulées pour lui. Son désir artistique a été récompensé.
La mort est omniprésente dans votre filmographie depuis les années 2000. Est-ce une obsession?
Je pense que c'est l'obsession de toute la société. Voyez tous les documentaires sur le suicide de Kurt Cobain, qui ne cessent de se demander : "Mais qu'est-il arrivé ?" C'est tellement exagéré. Mon filmLast Days était ainsi une réaction face aux médias qui ne cessent de tourner autour de ça. J'ai voulu montrer à quel point les derniers jours de Kurt ont été banals, loin de tout sensationnalisme et complotisme. De même, Elephant a été conçu en réaction au traitement par la presse de la fusillade de Columbine.
La Forêt des songes a recueilli des huées hier soir lors de la projection de presse. Votre réaction ?
Ce n'est pas forcément un mauvais signe. Il y a beaucoup de films que j'aime qui ont été sifflés à Cannes : Kids de Larry Clark, The Brown Bunny de Vincent Gallo – j'étais d'ailleurs dans la salle – et même les frères Coen avec O'Brother. Les Français ont cette culture du tapage. Et puis, j'ai eu des mauvaises réactions à Cannes pour Elephant. Quand j'ai gagné la Palme d'or, une personne dans la salle a d'ailleurs fait un geste comme si elle allait vomir.
Les premières critiques sont très dures. Beaucoup décrivent un mélo mièvre et trop new age…
Je ne suis pas autorisé à avoir une opinion sur ces critiques. C'est leur avis, et c'est leur droit. Je ne veux pas contrôler ça. Et puis je ne suis pas sur Twitter. Ce n'est pas ma génération.
Vous avez exprimé un point de vue assez pessimiste sur la place des films à vocation artistique dans les multiplexes américains…
Je pense que c'est la même chose en France, non ? Mad Max va avoir un effet de rouleau compresseur et empêcher d'autres films d'avoir une audience. C'est pour ça que la créativité est en train de migrer vers les séries. Si vous voulez faire un drame sans effets spéciaux et pour des spectateurs matures, c'est désormais à la télévision que ça se passe (Gus Van Sant à lui-même réalisé la géniale série Boss, NDLR). Les salles de cinéma sont devenues un lieu pour les jeunes qui veulent voir des super-héros et des films d'action. L'écrivain David Foster Wallace, qui était un observateur culturel très fin, expliquait ainsi que quand il allait dans un cinéma, c'était pour voir de l'entertaintment, alors même que ses propres livres sont très érudits et complexes. Je pense que c'est un vrai phénomène générationnel. Aujourd'hui, les jeunes attendent du cinéma des destructions massives et des cascades physiques, et non pas des personnages qui chutent sur le plan émotionnel.
Plus d'une trentaine de films de super-héros sont d'ores et déjà programmés jusqu'à 2020 par les studios, sans même parler de près d'une centaine de films qui seront des suites, à l'image de Star Wars 7…
C'est toujours plus facile, d'un point de vue marketing, de faire quelque chose qui est déjà populaire. D'où l'avalanche actuelle de suites, de films adaptés de comic-books et de biopics. Le problème, c'est qu'à force de suites, on va connaître une pénurie de scénarios originaux… C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai tourné, plan par plan, le remake de Pyscho. C'était ma réponse à l'obsession d'Hollywood de faire des longs-métrages dont les gens savent à l'avance ce qu'ils ont à offrir.