Comprendre l’affaire Ferrand en cinq questions
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mai 31, 2017
INFOGRAPHIE – Le ministre de la Cohésion des territoires, qui garde le soutien du premier ministre Édouard Philippe, exclut de démissionner car il a sa «conscience pour lui» et n'est «pas mis en cause par la justice».
L'affaire tombe au plus mal alors que l'exécutif prépare une loi sur la moralisation de la vie politique. Ces derniers jours, les voix à droite comme à gauche se multiplient pour demander la démission du ministre de la Cohésion des territoires, Richard Ferrand, épinglé pour une affaire immobilière impliquant sa compagne. Une semaine après les premières révélations embarrassantes du Canard enchaîné, la pression s'est encore accrue mardi avec une enquête du Monde l'accusant de «mélange des genres» quand il était à la tête des Mutuelles de Bretagne et dans ses fonctions de député. Le Figaro fait le point sur l'affaire qui vise ce soutien de la première heure d'Emmanuel Macron.
● Qu'est-il reproché à Richard Ferrand?
Les faits remontent à 2011, quand Richard Ferrand était directeur général des Mutuelles de Bretagne. À l'époque, l'organisme à but non lucratif recherchait des locaux commerciaux à Brest pour ouvrir un centre de soins. Entre trois propositions, l'établissement opte finalement pour une société civile immobilière, la Saca, qui propose un loyer annuel de 42.000 euros. Seulement, celle-ci est détenue par la compagne de Richard Ferrand, Sandrine Doucen.La SCI aurait été montée dans l'urgence, pour l'occasion. D'après Le Parisien, Richard Ferrand s'est lui-même occupé quelque mois plus tôt de l'achat des locaux concernés. Il aurait notamment signé en décembre 2010 une promesse de vente qui, selon l'avocat à l'origine de l'opération immobilière, était conditionnée à la conclusion d'un bail commercial entre une SCI, devant se substituer à lui, et les Mutuelles de Bretagne. Par ailleurs, la promesse de location aurait permis à sa compagne d'obtenir un prêt bancaire.
● Quelle est la ligne de défense de l'accusé?
Aux yeux de Richard Ferrand, il n'y a pas conflit d'intérêts. Le ministre a expliqué que le choix revenait au Conseil d'administration des Mutuelles de Bretagne dont il n'était pas membre. «Je ne suis ni marié, ni pacsé avec Sandrine Doucen, a-t-il plus tard ajouté. Avec ma compagne, nous ne vivons pas sous le régime matrimonial. Nous n'avons pas de patrimoine commun. On peut se séparer demain, chacun gardera ses biens.»
Le ministre peut aussi compter sur le soutien de son ex-employeur. Dans un communiqué, les Mutuelles assurent que Richard Ferrand a agi en «parfaite conformité avec les mandats tenus par le conseil d'administration». Elles indiquent avoir «fait le choix de gestion de privilégier l'investissement dans l'outil de travail plutôt que dans l'immobilier», justifiant ainsi leur choix de louer les locaux brestois plutôt que d'acheter les murs.
● Y a-t-il matière à des suites judiciaires?
Pour le moment, non. Aucune procédure judiciaire n'a été engagée à cette heure. Vendredi, le procureur de la République de Brest, Éric Mathais, a annoncé que les faits relatés ne constituaient pas une infraction et ne nécessitaient pas l'ouverture d'une enquête. «Le parquet national financier a fait connaître qu'il n'entendait pas se saisir de ces faits», rappelle le magistrat dans son communiqué. Le parti Les Républicains avait auparavant annoncé son intention de saisir la justice.
» Lire aussi – Affaire Ferrand: le parquet de Brest n'enquêtera pas
● Quelles autres accusations visent le ministre?
Dans son édition de la semaine dernière, Le Canard enchaîné révélait également que l'ancien député socialiste du Finistère, actuellement en campagne pour sa réélection, avait embauché son fils pendant plusieurs mois, en 2014, comme collaborateur parlementaire. Ce dernier a perçu 8704 euros brut sur l'ensemble de la période. Sur franceinfo, Richard Ferrand explique avoir sollicité son fils «un peu au débotté». «Il se trouve que mes collaborateurs habituels étaient totalement investis sur autre chose.»
À son tour, Le Monde s'est intéressé ce mardi à ce qu'il qualifie de «mélange des genres» entre politique et affaires. En effet, Richard Ferrand aurait été remplacé à la tête du mutualiste par une proche collaboratrice, dont il a recruté le compagnon comme assistant parlementaire. Il aurait également conservé un poste de chargé de mission après en avoir quitté la direction des mutuelles. Au même moment, relève Le Monde, il déposait à l'Assemblée un projet de loi avec d'autres socialistes sur les activités des mutuelles. «Cet article fait des amalgames et laisse place à tous les sous-entendus sans jamais rien démontrer», a réagi l'intéressé. «Je réfute et condamne tous les soupçons implicites de cet article.»
● Richard Ferrand risque-t-il de perdre sa place au gouvernement?
Pour le moment, Richard Ferrand exclut clairement de démissionner. «Je ne le ferai pas pour deux raisons: d'abord j'ai ma conscience pour moi, je ne suis pas mis en cause par la justice de la République que je respecte profondément, et (…) je veux me consacrer aux priorités de mon ministère», a-t-il réaffirmé sur France Inter mercredi matin. Mais la pression s'accentue un peu plus de jour en jour sur ses épaules. À droite comme à gauche le ministre est appelé à la démission. Certains responsables appellent désormais Emmanuel Macron et son ministre de la Justice, François Bayrou, à s'exprimer sur la question.
Richard Ferrand garde le soutien de son premier ministre, invité mardi soir du 20 Heures de France 2. À la question de savoir si le ministre de la Cohésion des territoires peut rester au gouvernement, Édouard Philippe a répondu: «Je dis oui, après avoir parfaitement compris, avoir parfaitement conscience de l'exaspération des Français, de leur émotion, de leur agacement». Seulement, les Français ne sont pas tout à fait du même avis. À croire un sondage de l'institut Harris Interactive publié mercredi, 73% des personnes interrogées jugent que les faits reprochés à Richard Ferrand sont graves. Pour 70%, le ministre doit quitter ses fonctions au sein du gouvernement.