Colère des agriculteurs : où en sont les mesures annoncées par le gouvernement et que réclame encore le secteur ?
Écrit par Jonathan PIRIOU sur novembre 15, 2024
Depuis la crise de l’hiver dernier, les agriculteurs ont obtenu des aides d’urgence et de premières mesures de simplification, mais ils sont prêts à ressortir dans la rue dès ce lundi. Ils exigent encore la disparition d’un projet d’accord de libre-échange et la garantie d’un revenu décent.Moins d’un an après la mobilisation des agriculteurs l’hiver dernier, un nouvel épisode d’actions se profile à partir de ce lundi. Fin octobre, l’alliance syndicale agricole majoritaire formée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, qui a organisé des blocages exceptionnels dans toute la France début 2024, a appelé son “réseau” à ressortir les tracteurs et à reprendre les manifestations. Les deux syndicats ont assuré que ce nouveau mouvement des agriculteurs allait “durer jusque mi-décembre“, avec des manifestations ponctuelles dans les départements, pour dénoncer des traités de libre-échange, les “contraintes” imposées aux agriculteurs et demander un soutien sur “la question du revenu”.
Qu’est-ce qui pousse encore les agriculteurs à se mobiliser ? Quelles sont les mesures déjà annoncées par les gouvernements successifs ? Quelles sont celles qui doivent arriver prochainement ? France Bleu fait le point.
La loi d’orientation agricole examinée avec du retard
Le retard pris par la loi d’orientation agricole, à cause de la dissolution de l’Assemblée, agace profondément les agriculteurs. Le texte reprendra finalement son chemin parlementaire à partir du mardi 14 janvier 2025 au Sénat. Un retard préjudiciable pour le chef des députés MoDem Marc Fesneau, ex-ministre de l’Agriculture, qui avait porté ce texte au printemps à l’Assemblée. Il a jugé “dommage que l’on attende janvier” sur ce texte qui apporte “des réponses sur la simplification (et) l’installation des jeunes” agriculteurs.
Promis et élaboré pour répondre à la colère du secteur, il place l’agriculture au rang d’intérêt général majeur. Il est bâti autour de la notion de “souveraineté alimentaire”, met en place un guichet unique pour l’installation de nouveaux agriculteurs et facilite la construction de bâtiments d’élevage ou de réserves d’eau. Le projet de loi entend donner un cadre d’action au monde agricole pour relever deux défis majeurs : attirer des bras, alors qu’un tiers des quelque 500.000 agriculteurs sera en âge de partir à la retraite d’ici dix ans, et adapter les systèmes de production au changement climatique, notamment via les progrès techniques (numérique, génétique, robotique). À ce stade, il fixe comme objectif “400.000 exploitations agricoles” d’ici 2035.
Le texte crée aussi un nouveau diplôme de niveau bac+3 et instaure un réseau “France services agriculture” : un guichet unique pour les prétendants à l’installation ou à la transmission d’exploitations. La FNSEA estimait que le principal obstacle à la plantation de haies était le millefeuille administratif, avec “14 réglementations différentes”. Avec la loi agricole, ce “corpus” doit être unifié dans une “réglementation unique”.
Un texte “anti-entraves” bientôt étudié au Sénat
Avant le retour de la loi d’orientation agricole en janvier, un texte visant à réduire les “entraves” à la production agricole doit être examiné avant la fin de l’année au Sénat. Il reprend plusieurs revendications de la FNSEA, en réautorisant l’utilisation d’insecticides néonicotinoïdes n’étant pas interdits dans le reste de l’Union européenne. La ministre de l’Agriculture avait d’ailleurs regretté les restrictions trop importantes de l’usage de certains pesticides, déplorant une “surtransposition” des règles imposées par l’UE qui pénaliserait certaines filières. “La situation de certaines filières, franchement, fend le cœur”, a souligné Annie Genevard. Elle a évoqué le cas de la filière des noisettes où les exploitants “n’ont rien pour traiter, alors que tous les concurrents européens, eux, traitent”.
Le texte “anti-entraves” pourrait aussi permettre au ministère de l’Agriculture de suspendre, dans certaines conditions, une décision de l’agence sanitaire Anses en matière d’homologation de produits phytopharmaceutiques. Toujours sur le volet “phyto”, le texte revient sur l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente de ces produits. Une mesure facilitant les projets de stockage de l’eau (les bassines) “présentant un intérêt général majeur” est également introduite.
Le contrôle unique acté par le gouvernement
Les agriculteurs attendaient des “actions concrètes dans les cours de ferme“ et notamment des “mesures de simplification” dont certaines ne coûtent rien, expliquait en octobre le président de la FNSEA. Le secteur demandait la mise en place du contrôle unique, alors que les agriculteurs “peuvent être soumis à près de 35 à 40 contrôles différents dans la même année”, a déclaré Arnaud Rousseau.
En réponse à cette demande de longue date, la ministre Annie Genevard a annoncé jeudi 31 octobre l’instauration d'”un contrôle administratif unique” sur les exploitations, en signant une circulaire. C’est le préfet de département qui devra gérer ce contrôle unique : il se “trouve désormais investi d’un rôle de coordination qui a pour objectif de limiter la pression du contrôle sur place à une seule visite par an et par exploitation”, a-t-elle indiqué.
Des allégements fiscaux prévus dans le budget
Alors que les entreprises sont appelées à contribuer au redressement des finances publiques, le budget débattu par les députés à l’Assemblée nationale introduit des allègements pour les agriculteurs. Le texte prévoit l’abandon de la hausse de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR), le carburant des tracteurs, déjà acté par Gabriel Attal en janvier 2023, la réduction de l’assiette imposable des éleveurs bovins ou encore des mesures d’incitation à la transmission des exploitations. La Coordination rurale (CR) réclame, elle, toujours un “GNR plafonné à un euro TTC”.
Par ailleurs, les agriculteurs (non-salariés) vont commencer à bénéficier, à partir de 2026, d’une retraite alignée sur le régime général, prenant en compte les 25 meilleures années de revenu. Mais pour des raisons techniques, la réforme (votée début 2023, et qui attendait toujours son application) ne pourra être réellement mise en œuvre de manière “opérationnelle” qu’en 2028.
Des trésoreries toujours en péril, une enveloppe pour les exploitations en difficulté
Malgré ces annonces et en attendant la loi d’orientation agricole, la situation sur le terrain reste explosive. Si le contrôle unique, “c’est déjà un premier pas” pour Guillaume Houdy, coprésident des Jeunes Agriculteurs Ile-de-France Ouest, “il faudra que ça aille bien au-delà, a-t-il affirmé. Le problème principal aujourd’hui c’est le revenu des agriculteurs”. Certaines peinent toujours à se dégager un salaire et les trésoreries de nombreuses exploitations restent en grande difficulté, alors que le secteur est touché par des mauvaises nouvelles successives. La France a connu sa pire récolte de blé en 40 ans, la production viticole 2024 en France est attendue en recul de 23% sur un an et les épidémies animales, qui provoquent l’affaiblissement ou la mort des bêtes, sont en recrudescence. Les semis de blé d’hiver pourraient aussi être menacés si les sols restent gorgés d’eau, après des mois de pluies quasi incessantes.