Ce que l’on sait des attaques qui ont visé plusieurs prisons françaises depuis deux nuits
Écrit par Jonathan PIRIOU sur avril 15, 2025
Du jamais-vu en France. Neuf établissements pénitentiaires ont été visés par des attaques depuis la nuit du dimanche 13 au mardi 15 avril. Véhicules incendiés, tirs à l’arme de guerre, tags… Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, s’est rendu au centre pénitentiaire de Toulon (Var) mardi après-midi. Sur X(Nouvelle fenêtre), il a établi un possible lien entre ces faits et la politique de lutte actuelle contre le narcotrafic. “Il y a manifestement des actes d’intimidation contre les agents pénitentiaires. Mais la République ne reculera pas”, a déclaré le garde des Sceaux en fin de journée. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a annoncé mardi l’ouverture d’une enquête. Voici ce que l’on sait des évènements à ce stade.
Des véhicules ont été incendiés près d’une école de surveillants
Dans la nuit de dimanche à lundi, sept véhicules ont été “détruits ou dégradés en raison d’un incendie” sur le parking de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire à Agen, selon le parquet du Lot-et-Garonne. L’alerte a été donnée à 23h05, rapporte France 3 Nouvelle Aquitaine(Nouvelle fenêtre). L’intervention rapide des pompiers a évité que le feu ne se propage et des centaines d’élèves ont été évacués temporairement.
Sur Facebook(Nouvelle fenêtre), le syndicat Force ouvrière a diffusé des images des dégâts de l’incendie. “C’est une première dans l’histoire de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire”, a réagi Fouad Tabaza, le représentant des élèves, auprès de France 3. Selon le procureur de la République d’Agen, un homme a été interpellé après l’incendie, mais sa garde à vue a été levée après des vérifications.
D’autres prisons ont été prises pour cible partout en France
Dans la nuit de dimanche à lundi, à Réau (Seine-et-Marne), le véhicule d’une surveillante a aussi été incendié et des traces d’hydrocarbures ont été retrouvées sur trois autres véhicules, selon une source policière à France Télévisions.
La nuit suivante, sept autres établissements ont été visés par des attaques. Un véhicule a été incendié devant la maison d’arrêt de Nîmes (Gard). Les premiers éléments de vidéosurveillance récoltés par les enquêteurs montrent trois suspects en train de mettre le feu au véhicule à l’aide de bidons d’essence, selon une source proche du dossier à franceinfo. Au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède (Var), plusieurs personnes ont tiré à l’arme lourde sur la porte de l’établissement vers 0h40, selon Samuel Finielz, le procureur de Toulon. Quinze “impacts ont été relevés”, a dénoncé Force ouvrière sur le réseau social X(Nouvelle fenêtre). En région parisienne, des véhicules ont aussi été incendiés à la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis) et à celle de Nanterre (Hauts-de-Seine). Selon une source policière à France Télévisions, des individus ont été vus en train de mettre le feu aux voitures d’employés sur les parkings de ces deux établissements et des bidons d’essence ont été retrouvés sur place.
Au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, à Aix-en-Provence (Bouche-du-Rhône), deux véhicules ont été incendiés et le portail des équipes régionales d’intervention et de sécurité a été pris pour cible, déplore FO. A Marseille, des véhicules ont été tagués et un autre incendié près de locaux de la protection judiciaire de la jeunesse sur le parking d’une résidence de logements sociaux occupés par de nombreux agents de l’administration pénitentiaire.
“Dix véhicules pénitentiaires ont été tagués de l’inscription ‘DDPF’ (Droits des prisonniers français). C’est une honte absolue. Je réaffirme mon soutien aux agents pénitentiaires pour leur courage”, a écrit la présidente du département des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal, sur X, en postant une photo de véhicules tagués.Deux voitures de surveillants ont aussi été incendiées devant le centre pénitentiaire de Valence (Drôme), rapporte “ici Drôme Ardèche”(Nouvelle fenêtre) (ex-France Bleu) mardi matin. L’Ufap-Unsa a affirmé sur la radio locale qu’un individu encagoulé, venu en trottinette, a répandu un liquide sur les véhicules avant de les enflammer. Le ministre de la Justice a indiqué mardi soir que les “lieux de domicile d’agents” avaient également été “menacés”.
Le Parquet national antiterroriste ouvre une enquête
Des enquêtes ont d’abord été ouvertes par les parquets locaux. Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ensuite annoncé à la mi-journée qu’il se saisissait de l’enquête, confiée à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, aux directions zonales de la police nationale concernées et à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le Pnat cite les chefs d'”association de malfaiteurs terroristes en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte à la personne” et “dégradation ou détérioration en bande organisée du bien d’autrui” pour les neuf établissements ciblés. A Toulon, l’enquête concerne aussi “une tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste commise sur une personne dépositaire de l’autorité publique”, précise le parquet.
Gérald Darmanin a précisé lors de son point presse qu’aucune revendication n’a été faite. Selon une source proche du dossier à franceinfo, il s’agit d’une “attaque coordonnée”. Cette même source s’interroge sur un lien possible entre ces attaques et l’instauration de prisons de haute sécurité dédiées aux détenus les plus dangereux provenant de la criminalité organisée. Les prisons de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et de Condé-sur-Sarthe (Orne) se préparent en effet pour accueillir, dans quelques mois, les 200 narcotrafiquants détenus jugés les plus dangereux.
Le garde des Sceaux n’a pas tardé à établir ce lien. “Le gouvernement a pris depuis plusieurs mois des mesures extrêment fermes” face “aux moyens de communication” depuis les prisons “avec l’extérieur”, s’est-il félicité. “Je ne sais pas si ces faits extrêmement graves ont un rapport à avec la lutte que nous menons contre le désordre en prison” mais “on a touché là où ça fait mal”, a-t-il relevé depuis Toulon. Interrogé sur les grafitis retrouvés sur les véhicules et la piste de l’ultra-gauche évoquée par certains, Gérald Darmanin a affirmé ignorer leur signification. Selon lui, cela “ressemble à des gens qui sont payés quelques centaines de milliers d’euros qui vont remplir quelques contrats pour intimider”.Les surveillants de prisons s’inquiètent face à cette insécurité
Déjà éprouvé par l’attaque meurtrière d’un fourgon il y a près d’un an lors de l’évasion de Mohamed Amra, le personnel pénitentiaire a manifesté son inquiétude. Le 21 mars, trois véhicules avaient déjà été incendiés devant la prison de Gradignan. “Les collègues sont assez dépités. Ce sont leurs voitures personnelles”, avait réagi Gaétan Petit, délégué régional adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants, auprès de France 3 Nouvelle Aquitaine(Nouvelle fenêtre). “Il y a déjà de l’insécurité à l’intérieur des prisons et là, les collègues se rendent comptent que, même à l’extérieur, ils sont en insécurité aussi.”
Après la vague d’attaques de dimanche et lundi, Force ouvrière a dénoncé des “actes criminels” et “une attaque frontale contre notre institution, contre la République, et contre les agents qui la servent au quotidien”. La banche Justice du syndicat a exigé “une réponse forte, immédiate et sans ambiguïté de l’Etat”.
“On attend une action coordonnée par les ministres de la Justice et de l’Intérieur”, a de son côté déclaré Wilfried Fonck, secrétaire national de l’Ufap-Unsa Justice, à l’AFP. Et le syndicaliste de souligner que l’administration pénitentiaire n’a “pas les forces humaines pour assurer la sécurisation aux abords des établissements 24h/24”. Gérald Darmanin a déclaré avoir “demandé au ministère de l’Intérieur” une présence policière permanente devant les établissements. Un peu plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, avait dénoncé sur le réseau social(Nouvelle fenêtre)(Nouvelle fenêtre) “plusieurs attaques inacceptables” et annoncé le renforcement de “la protection des agents et des établissements” pénitentiaires.