Cannes 2016 : George Miller, un président en perfecto
Écrit par Jonathan PIRIOU sur février 2, 2016
Quel genre de président du jury sera l'auteur de “Mad Max” ? Déjà venu deux fois à Cannes comme simple membre du jury, George Miller a au moins cet avantage de savoir à quoi s'attendre.
Alors, c’est George Miller ? Oui, c’est bien le réalisateur des quatre Mad Max qui présidera le jury du prochain Festival de Cannes. L’annonce rituelle, qui a enflammé les réseaux sociaux et la presse cinéma, est un événement d’ordre quasi météorologique, c’est l’hirondelle de la messe printanière à venir : connaître le président, c’est déjà tourner son regard, par-dessus l’imminent Festival de Berlin (pas mal doté cette année en termes de jury, c’est Meryl Streep qui préside) vers l’événement cinéphile de mai.
Ici, le clivage est plus clair que d’habitude : ceux qui ont aiméMad Max : Fury road, au point parfois, c’est mon cas, de le mettre au plus haut dans les tops 2015, ont le sourire, les autres, moins friands de l’œuvre d’un cinéaste versatile, pas l’auteur le plus facile à suivre, sont, au mieux, indifférents. En fait, c’est le moins consensuel des présidents depuis un bail : depuis Tim Burton (2010), parce qu’il y a les fans et les autres ; ou alors depuis Sean Penn (2008), qui n’avait peut-être pas tout à fait l’autorité cinéphile et morale pour le poste – même si son palmarès se défendait. En plus, goujat, il n’est ni un Noir, ni une femme.
Avare en interviews, vivant là-bas très loin quelque part sous nos pieds, George Miller a longtemps été une énigme : était-ce bien le même homme, celui qui avait inventé le « road warrior » hyper violent en perfecto, et celui qui filmait l’étrange fable, écolo ou misanthrope, c’est selon, de Babe, un cochon dans la ville, perte de l’innocence d’un jeune porc au contact d’animaux plus évolués, enfin, façon de parler (des singes et des hommes) ? Et le même encore qui, après huit ans de silence, signait deux films d’animation dont les héros sont des pingouins dansants (Happy Feet) ? Ex-dur à cuire devenu sénile ou quoi ?
Plus « fordien » que « marvélien »
Mais les films, chacun à leur manière – on préfère tout de même ceux en prise de vue réelle – étaient réussis, et loin de la standardisation du divertissement qui guette chaque production anglo-saxonne à ambition commerciale. Mieux,Mad Max : Fury road a prouvé qu’à 69 ans – George en aura deux de plus à Cannes 2016 – on pouvait signer un blockbuster quasi expérimental, impliquant une logistique technique démente, nettement plus « fordien » que « marvelien », si vous me suivez.
Président de Cannes, c’est abstrait pour les autres. Rien ne dit que l’on croisera George Miller à Da Laura, l’italien miam-miam derrière le Palais ; il sera peut-être, comme souvent, un président inaccessible, distillant quelques bons mots à la conférence de presse, et vivant sa vie de patachon – des films inédits, merveilleusement projetés entre deux siestes dans un palace – en contemplant sa valise pleine d’Oscars, qu’il aurait gagné d’ici là (on l’espère, sans y croire). Rien ne dit non plus qu’il votera pour le successeur de Mad Max ou tout film comportant un cochon (Délivrance, Palme d’or ?). Ni qu’il s’imposera comme un président à poigne, dictant sa loi.
L’expérience a montré que les présidents de jury votaient souvent pour des films éloignés de leur univers… Avant le dernier Mad Max, George Miller n’avait jamais eu de film en sélection officielle – le beau Lorenzo, en 1992, aurait pu y prétendre. Mais il était venu au jury. Deux fois : en 1988, sous la présidence d’Ettore Scola, Palme d’or à Pelle le conquérant ; en 1999, sous celle de David Cronenberg, Palme d’or àRosetta. Assez autoritaire, le cinéaste canadien rêvait cette année-là de sacrerL’Humanité, de Bruno Dumont (qui dut « se contenter » de trois prix). Où se situait Miller dans les débats ? Il aura sans doute à juger, d’ici trois mois et demi, La Fille inconnue, des frères Dardenne. Au moins sait-on déjà qu’il ne sera pas surpris par ce cinéma si différent du sien. Il lui a déjà donné une Palme.