Au Venezuela, Maduro refuse de remettre son mandat en jeu
Écrit par Jonathan PIRIOU sur janvier 30, 2019
Nicolas Maduro avait déjà rejeté, la veille, l’ultimatum européen qui lui enjoignait, sous huit jours, d’organiser une élection présidentielle pour sortir de la crise. Le président vénézuélien, réélu en mai 2018 au terme d’un scrutin boycotté par les principaux partis de l’opposition, vient d’enfoncer le clou, devant les micros de l’agence de presse russe RIA Novosti, mercredi 30 janvier, à l’aube d’une nouvelle journée de manifestations.
« Nous n’acceptons les ultimatums de personne dans le monde, nous n’acceptons pas le chantage, a-t-il insisté.L’élection présidentielle a eu lieu il y a moins d’un an, il y a dix mois. Elle a eu lieu selon toutes les règles constitutionnelles et légales, et si les impérialistes veulent de nouvelles élections, qu’ils attendent 2025. »
« Je suis prêt à m’asseoir à la table des négociations »
L’héritier d’Hugo Chavez a toutefois laissé entendre qu’il était disposé à organiser des législatives anticipées : « Ce serait très bien d’organiser des élections législatives plus tôt, cela constituerait une très bonne forme de discussion politique, une bonne solution par le vote populaire. » Et d’ajouter :
« Je suis prêt à m’asseoir à la table des négociations avec l’opposition pour parler pour le bien du Venezuela, pour la paix et son avenir. »
Interrogé sur une possible médiation internationale, Nicolas Maduro a assuré qu’il y avait « plusieurs gouvernements et organisations dans le monde qui [montraient] une préoccupation sincère », et a souhaité qu’« ils soutiennent le dialogue ».
Il s’est également dit « prêt à discuter personnellement avec Donald Trump, en public, aux Etats-Unis, au Venezuela, où il voudra, quel que soit le programme ». Il a cependant estimé que c’était « difficile aujourd’hui », notamment en raison des agissements, selon lui, du conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, qui « a interdit à Trump de mener ce dialogue ».
« Toutes ces années, a-t-il ajouté, j’ai fait plusieurs tentatives, j’ai essayé à titre personnel d’envoyer des messages à Trump, ou publiquement par les médias, pour établir une communication, un respect et un dialogue avec le gouvernement américain malgré les différences politiques, culturelles et idéologiques. »
« Donald Trump a donné l’ordre de me tuer, et dit au gouvernement colombien, à la mafia colombienne, de me tuer. »
« Mon destin est entre les mains de Dieu, je suis chrétien, je crois en la protection du Seigneur. Je suis toujours protégé par le peuple du Venezuela, nous avons un bon service de renseignement », a-t-il déclaré. « Mais sans aucun doute, Donald Trump a donné l’ordre de me tuer, et dit au gouvernement colombien, à la mafia colombienne, de me tuer. Si quelque chose m’arrive un jour, Donald Trump et le président colombien, Ivan Duque, seront responsables de tout ce qui m’arrive. »
Un avion russe venu embarquer l’or de la banque vénézuélienne ?
Le président vénézuélien a ensuite exprimé sa « reconnaissance » au président russe Vladimir Poutine. Il a affirmé que le Venezuela continuait de recevoir « chaque mois » de l’armement russe, « le plus moderne au monde », dans le cadre des contrats en vigueur. Interrogé sur la présence de Russes chargés de sa protection, M. Maduro a toutefois répondu d’un ton évasif : « Je ne peux rien dire. No comment. »
Le président vénézuélien a assuré que, malgré la situation économique du pays, Caracas continuerait de payer ses dettes à la Chine et à la Russie, ses principaux créanciers : « Le Venezuela paye, toujours dans les temps. » En revanche, il n’a pas dit un mot sur l’avion Boeing 777 de la compagnie russe Nordwind qui a décollé à vide, lundi, de Moscou pour Caracas, où il est arrivé dans la soirée. L’Assemblée nationale vénézuélienne s’est alarmée de sa présence et soupçonne qu’il serait là pour embarquer l’or de la banque vénézuélienne.
« En tant que chef d’Etat, j’estime qu’un coup d’Etat est en cours et que la Constitution est violée. »
A la question de savoir si Juan Guaido, autoproclamé président par intérim le 23 janvier, risquait d’être arrêté, Nicolas Maduro affirme qu’« à [sa]connaissance, cette mesure n’[avait]pas encore été prise ».
Et d’ajouter : « Attendons de voir le déroulement du processus judiciaire et constitutionnel pour voir les conséquences. Ne nous pressons pas. »Tout en précisant : « En tant que chef d’Etat, j’estime qu’un coup d’Etat est en cours et que la Constitution est violée (…) Le procureur général doit agir [puis] la Cour suprême. Elle agit déjà. »
Nouvelle journée de manifestations de l’opposition
Mercredi, l’opposition va manifester pour tenter de convaincre l’armée de tourner le dos au président Maduro et reconnaître à sa place l’opposant Juan Guaido, autoproclamé chef d’Etat par intérim. Le président de l’Assemblée nationale, qui conteste la légitimité de Maduro et réclame de nouvelles élections, a appelé à la tenue de nouvelles manifestations en milieu de journée (17 heures à 19 heures en France) pour paralyser le pays, en frappant dans des casseroles ou en brandissant des pancartes. M. Guaido réclame aussi la mise en place d’un gouvernement de transition et de nouvelles élections.
Dans un entretien au quotidien allemand Bild, il réclame par ailleurs « plus de sanctions » de la part de l’Union européenne, « comme l’ont décidé les Etats-Unis. » Lundi, les Etats-Unis avaient déjà serré la vis du secteur pétrolier vénézuélien en visant la compagnie pétrolière PDVSA, à laquelle ils ont interdit de faire du commerce avec des entités américaines et dont ils ont gelé les avoirs à l’étranger. « Il n’y a pas de doute que nous essayons de couper les fonds au régime », a résuméle secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. Les Etats-Unis ont aussi formellement donné à M. Guaido, dont ils ont reconnu l’autorité, le contrôle des comptes bancaires de son pays sur leur territoire.
Le risque de troubles civils est élevé dans ce pays de 32 millions d’habitants, l’un des plus violents au monde, en plein naufrage économique et déchiré par une crise politique qui se cristallise autour de deux camps : les chavistes et les opposants. Neuf jours de mobilisations se sont soldés par une quarantaine de morts et plus de 850 arrestations, selon l’ONU.