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STÉPHANE AUDRAN, LA DISTANCE ÉLÉGANTE

Écrit par sur mars 27, 2018

Stéphane Audran, dont le port haut, la voix distanciée et une certaine langueur amusée dans le regard conféraient à son jeu une autorité unique, est morte ce mardi à 85 ans. Elle était blonde et sophistiquée, hitchcockienne. Sous nos latitudes, on dit chabrolienne.

La comédienne, née Colette Suzanne Dacheville à Versailles (Yvelines) en novembre 1932, a d’abord fréquenté les planches. Passée par le cours Dullin, elle y rencontre Jean-Louis Trintignant, avec qui elle se marie à 22 ans. Elle cachetonne aussi au cinéma. Puis plonge dans le grand bain de la Nouvelle Vague, poussée par Gérard Blain. Le comédien, avec qui elle joue Jules César en 1958 à Nîmes, lui conseille d’aller voir Claude Chabrol, dans un bar de la rue Washington, à Paris, où ce dernier joue au flipper. «Chabrol était là, en effet, raconte-t-elle aux Cahiers du cinéma en 1997, et sans cesser de jouer il m’a dit qu’il avait quelque chose pour moi dans son film. Je n’y croyais pas tellement, je suis partie en vacances.»

Elle revient néanmoins à temps, est engagée dans les Cousins pour une unique réplique, et entame avec le cinéaste une collaboration qui s’étire sur 23 films et quatre décennies. Ils se marient en 1964. C’est leur fils, le comédien Thomas Chabrol, qui a annoncé mardi la mort de sa mère : «Elle était souffrante depuis quelque temps. Elle a été hospitalisée une dizaine de jours et était revenue chez elle. Elle est partie paisiblement cette nuit vers 2 heures du matin.»

A l’époque des Cousins, elle n’était «pas du tout à l’aise : je ne savais pas bouger, j’avais peur de parler faux et, d’ailleurs, je parlais faux»,explique-t-elle en interview lorsqu’elle se remémore la première partie de sa carrière. Elle est hystérique dans les Bonnes Femmes (1960), où avec Bernadette Lafont elle impose une image de femme libre et insaisissable. Elle se détend à partir de Landru (1963), où elle meurt en chanson. Et se sent parfaitement confortable devant la caméra avec les Biches (1968, ours d’argent de la meilleure actrice), nouvelle incursion de Chabrol, chauffé à blanc par le scénariste Paul Gégauff, dans la psyché méandreuse de personnages pervers.

Hallucinante

Durant cette exploration familiale du territoire policier-bourgeois-provincial-de mœurs d’où les hommes sortent à tous coups perdants, la figure de Stéphane Audran, proche de la taulière, se confond souvent avec celle, indécodable, du sphinx. Elle provoque le malheur dans les Noces rouges (1973), elle en est la victime dans la Rupture (1970), elle l’inspire dans le Boucher (1970), elle l’éprouve dans Violette Nozière (1978, césar du meilleur second rôle). Elle seule semble connaître les réponses aux questions posées par ces intrigues étouffantes qu’elle traverse, peut-être même son sourire mystérieux est-il cette réponse, et son jeu fait de ruptures, souvent perturbé par des rires dont on ne sait jamais vraiment s’ils sont ironiques ou sincères, empathiques ou méprisants, donne à ses interprétations une aura d’un magnétisme dangereux. La Femme infidèle (1969) resterait bancal et cousu de fil blanc sans la distance hallucinante qu’elle parvient à donner à son personnage d’épouse tacitement insatisfaite et qui transforme ce drame banal de la jalousie en une tragédie racinienne quasi surréaliste.

La séparation d’avec Chabrol ouvre ensuite à Stéphane Audran le champ de nouveaux territoires cinématographiques. Il y eut bien sûr dans les années 70 Sautet (Vincent, François, Paul et les autres) ou Buñuel (le Charme discret de la bourgeoisie), mais son implication dans les productions chabroliennes constituait alors le plus gros de son activité. Dès le début des années 80, tout change. Celle qui a joué trois fois avec Samuel Fuller (dont un téléfilm) se retrouve chez Molinaro (la Cage aux folles 2), Tavernier (Coup de torchon), Alain Jessua (Paradis pour tous)… Elle butine de drame en comédie et va jusqu’à se transformer dans Mortelle Randonnée où, enlaidie à l’excès, elle campe pour Claude Miller un troisième rôle de Germaine aux dents pourries et costume gris.

Celle qui avait fait ce métier pour «être en récréation tout le temps»retrouve son ex et camarade de jeu favori, Chabrol, dans Poulet au vinaigre (1985) où elle interprète une handicapée aigrie. Et, alors dégagée de toute sphère maritale, en artiste indépendante, elle tombe en 1987 sur le rôle de sa carrière : celui de Babette, dont le Festin… réalisé par Gabriel Axel d’après une nouvelle de l’auteure danoise Karen Blixen fait le tour du monde et rafle nombre de récompenses, dont l’oscar du meilleur film étranger – consacrant ainsi Stéphane Audran aux Etats-Unis, pays où les films de Chabrol n’ont jamais vraiment marché.

«Energie»

Durant les années 90 et 2000, Stéphane Audran ralentit la cadence. Celle qui a participé en 1973 au manifeste des 343 Salopes pour la légalisation de l’avortement écrit un livre, Une autre façon de vivre (le Cherche-Midi, 2009), où elle adoucit certaines de ses positions : «Je crois en la religion catholique et aux prescriptions du Christ», tout en vantant les vertus de la médecine traditionnelle chinoise et «son énergie vitale susceptible de nous régénérer». De santé fragile, elle avait eu le coup de foudre pour ces remèdes en 1994, après un colloque sur les civilisations traditionnelles. Elle se soucie aussi de la préservation de l’environnement. «Lorsque je parlais de ça il y a vingt ans, je passais pour une folle. Aujourd’hui, tout le monde a conscience des désastres écologiques qui nous guettent, sauf qu’il faut moins compter sur le G8 que sur nous-mêmes», expliquait-elle. Aux questions sur un éventuel retour au ­cinéma, Stéphane Audran répondait alors : «Si vous lisiez les scénarios qu’on m’adresse, vous comprendriez mes réticences.»