Le service national obligatoire version Macron est-il condamné?
Écrit par Jonathan PIRIOU sur février 13, 2018
S'il est obligatoire, le service national voulu par Emmanuel Macron concernera 800 000 jeunes chaque année. Une cohorte à héberger, nourrir, encadrer et équiper, mais qui n'est pas budgetée.
Le menton haut et le regard fixé sur l'horizon. "Beaucoup disent que c'est impossible à faire. Mais, rassurez-vous, je suis depuis bien longtemps habitué à ces débuts de discussion. Cela forge plutôt en moi la conviction que c'est une nécessité de le faire", assurait Emmanuel Macron au sujet du service national universel fin janvier, en présentant ses voeux aux forces vives de la Nation.
Il s'agit "d'un projet de société majeur, un véritable projet républicain, qui doit permettre à notre démocratie d'être plus unie et d'accroître la résilience de notre société", plaidait-il pendant sa campagne électorale.
Près de 800 000 jeunes concernés chaque année
Reste que les rapports commencent à s'empiler sur le coût d'un tel dispositif, et que le doute a gagné jusqu'au gouvernement. Le service national devra être "attractif" pour les jeunes plutôt que "obligatoire", a estimé vendredi dernier la ministre des Armées Florence Parly. Evidemment, si les gendarmes ne vont pas chercher les récalcitrants, les 800 000 jeunes garçons et filles de dix-huit ans potentiellement concernés chaque année seront moins nombreux sous les drapeaux. La ministre a été contredite par le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb ce dimanche et par le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveau ce mardi. "Il sera universel, il concernera toute la classe d'âge et il sera obligatoire", a déclaré ce dernier.
Emmanuel Macron avait évalué le coût de son service obligatoire d'un mois entre deux et trois milliards d'euros par an. Il se basait sur un chiffre de 600 000 jeunes, un chiffre que le gouvernement a par la suite revu à la hausse. Mais cette somme ne prenait pas en compte le besoin d'infrastructures adaptées à l'accueil et à l'hébergement d'une telle cohorte, alors que les casernes françaises n'hébergent actuellement pas plus de 200 000 soldats professionnels.
Trop cher, mais tout de même trop court
Dès le mois de juillet, un rapport du Sénat faisait l'addition du projet sur le quinquennat: 30 milliards d'euros. Soit un luxe pour un Etat qui tente désespérément de juguler ses déficits. Aux 2,5 à 3 milliards par an que devrait coûter l'encadrement des appelés par un personnel qualifié, les sénateurs ont en effet ajouté 10 à 15 milliards de coûts d'infrastructures à créer ou à rénover. Une somme qui pourrait monter jusqu'à 17 milliards si des acquisitions foncières étaient nécessaires. La somme s'envolerait bien au delà des 30 milliards en ajoutant des frais d'équipement, voire une indemnisation des appelés pour le temps consacré à la nation.
Les sénateurs ne sont pas seuls à s'inquiéter. Selon Les Echos, un rapport commandé en septembre par Matignon aux cinq inspections générales concernées (administration, armées, finances, éducation, jeunesse et sports) a souligné que malgré son coût rédhibitoire, ce service national d'un mois était trop court "au regard des objectifs affichés." Il n'a pas été publié.
Gare à "la nostalgie du service national"
Un autre rapport aurait "beaucoup énervé" le président de la République, selon le quotidien économique. Celui des députés, dont la publication a été reportée mais qui doit avoir finalement lieu le 21 février. D'après France Inter, le texte donne sa préférence à un parcours citoyen en trois étapes, à accomplir entre 11 et 25 ans. D'abord une semaine de la défense et de la citoyenneté à accomplir obligatoirement dans le cadre des établissements scolaires, ensuite à 16 ans sept jours en internat pendant les vacances scolaires ou un stage dans une association, enfin une incitation à l'engagement dans l'un des dispositifs existants, comme le service civique qui a séduit 92 000 volontaires en 2016.
Une recommandation placée sous le signe du pragmatisme. Ce service national, "on ne peut pas le rendre obligatoire pour des adultes", a souligné hier lundi le président de la commission de Défense de l'Assemblée nationale Jean-Jacques Bridey (LREM), qui pilote le rapport des députés, "il pourrait y avoir un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme." Le rendre facultatif modérerait aussi son coût pour les finances publiques.
Emmanuel Macron a chargé un groupe de travail de rendre des conclusions en avril. Quant aux sénateurs, ils s'apprêtent à faire leurs propres propositions. Mais ils n'entendent pas céder à la "nostalgie du service national." Une expression forgée en 2015 à l'occasion d'un rapport parlementaire dont les auteurs préconisaient de ne pas mettre en place "un dispositif uniforme poursuivant plusieurs buts sans n'en atteindre aucun."