P.O.L, Paul Otchakovsky-Laurens, un grand nom de l’édition disparaît
Écrit par Jonathan PIRIOU sur janvier 4, 2018
DISPARITION – Le grand éditeur, discret et brillant, avait publié Georges Perec, Marguerite Duras et révélé Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Marie Darrieussecq et Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008.
Ce 2 janvier 2018 aura été fatal pour la littérature. Deux grands éditeurs disparaissent le même jour. La nouvelle concernant Bernard de Fallois était tombée hier, le 3 janvier. Celle qui nous annonce la mort de Paul Otchakovsky-Laurens, patron des éditions P.O.L, n'a été révélée que ce 4 janvier. C'est son fidèle directeur de la communication et bras droit, Jean-Paul Hirsch, qui a informé l'AFP de la triste nouvelle. Autre similitude entre les deux éditeurs défunts: ils avaient donné leur nom à leur maison, incarnaient et imprimaient profondément le style d'une certaine littérature, exigeante et talentueuse. Le comité de lecture, c'était eux.
Paul Otchakovsky-Laurens est mort à la suite d'un accident de voiture sur l'île Marie-Galante (Petites Antilles françaises). Il avait soixante-treize ans. C'était un grand éditeur, discret et brillant. Parmi ses «poulains»: Georges Perec, Marguerite Duras, Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Marie Darrieussecq, Valère Novarina, Camille Laurens…
La qualité des romans publiés par sa maison était telle que chaque année ses auteurs participaient à la course aux grands prix littéraires (Nathalie Azoulai, prix Médicis 2016, Atiq Rahimi, Goncourt 2008…).
Né en 1944 à Valréas, dans le sud de la France, Paul Otchakovsky-Laurens a débuté dans l'édition en tant que stagiaire chez Christian Bourgois en 1969, avant de devenir lecteur chez Flammarion en 1970.
Avant d'être une maison d'édition, POL était une collection créée chez Hachette. Il avait publié le célèbre La Vie mode d'emploi, de Perec. C'était en 1977 qu'il a commencé de voler de ses propres ailes. En 1983, il transforme P.O.L. en maison d'édition indépendante, en publiant Le Livre des ciels de Leslie Kaplan.
Ensuite, il édite Marguerite Duras, notamment son grand livre, La douleur en 1985 et La pluie d'été en 1990.
Emmanuel Carrère, Marguerite Duras, Georges Perec
Dans les années 1990, la maison d'édition connaît un grand essor en éditant de jeunes auteurs à succès comme Marie Darrieussecq avec Truismes ou encore Martin Winckler avec La maladie de Sachs. Des premières œuvres qui rencontrent un accueil considérable.
Petit à petit, mais avec constance, il se crée l'un des plus beaux catalogues de la littérature française, avec des valeurs montantes puis confirmées comme Emmanuel Carrère, avec, entre autres L'adversaire ou La Moustache, ou encore Atiq Rahimi, lauréat du Prix Goncourt pour Syngué sabour. Pierre de patience en 2008. La plupart de ses auteurs lui sont restés fidèles.
En janvier 2011, un numéro entier d'une revue littéraire américaine, The Review of Contemporary Fiction, était consacré aux écrivains de cette maison d'édition française. C'est assez rare pour le souligner, un éditeur français fêté aux États-Unis. POL faisait l'objet d'un numéro spécial de la prestigieuse revue américaine. Plus de 160 pages réservés aux auteurs P.O.L, avec une sélection d'extraits de leur roman (Patrick Lapeyre, Olivier Cadiot, Frédéric Boyer, Mathieu Lindon, Valère Novarina…). Marie Darrieussecq, Leslie Kaplan et d'autres ont signé un texte. Intéressant, aussi, était l'entretien entre John O'Brien, éditeur de la revue, et Paul Otchakovsky-Laurens, qui expliquait pourquoi il avait créé P.O.L. Ce numéro spécial venait récompenser un travail de fourmi mené par P.O.L, qui voit ainsi nombre de ses auteurs traduits et publiés aux États-Unis. Belletto, Rolin, Alféri, Gavarry, Carrère, Duras…
Trois mots peuvent le qualifier: indépendance, exigence et talent. Indépendance, même si sa maison a rejoint le groupe Gallimard, mais il a toujours choisi ses textes et était seul maître à bord.
Paul Otchakovsky-Laurens avait réalisé un documentaire en novembre 2017, Éditeurdans lequel il expliquait sa vocation et cette passion qui ne l'a jamais quitté.
Le cinéma était d'ailleurs une autre passion. Il a longtemps œuvré au sein de la Scelf (Société civile des éditeurs de langue française) qui organisait au Salon du livre des rencontres avec une centaine de producteurs afin de favoriser le passage du livre à l'écran.