Le gouvernement nationalise «temporairement» les chantiers de Saint-Nazaire
Écrit par Jonathan PIRIOU sur juillet 27, 2017
La décision est tombée : Bruno Le Maire a annoncé ce jeudi après-midi la préemption par l'État des parts restantes de STX France, pour préserver les intérêts stratégiques français. Bercy maintient cependant sa volonté de trouver rapidement un accord avec l'industriel italien Fincantieri.
Le ministre refuse d'employer le mot de «nationalisation», pourtant, c'est bien ce que recouvre cette première grande décision de politique industrielle pour l'exécutif français. Pour un coût d'environ 80 millions d'euros, l'État s'apprête à devenir propriétaire à 100% des chantiers de l'Atlantique (STX France), avec pour objectif principal de «défendre les intérêts stratégiques de la France». Il possédait jusqu'à présent 33,33% des actions, assorties d'un droit de préemption courant jusqu'au samedi 29 juillet, soit dans deux jours.
Le scénario d'un rachat public était devenu très probable ces dernières heures, faute d'accord avec l'Italie et le groupe Fincantieri. Il y a deux mois, Emmanuel Macron avait voulu réviser les accords négociés par le précédent gouvernement en vue de la reprise par le groupe naval italien: exit le compromis qui donnait au camp italien 55 % des parts de STX France. Le nouvel exécutif a voulu négocier un schéma «à 50-50», équilibrant les intérêts français (l'État, l'ex-DCNS Naval Group, Bpifrance et les salariés) et italiens dans le tour de table des Chantiers de l'Atlantique, jugés stratégiques pour le pays. La réponse publique italienne était venue mercredi du ministre du Développement économique, Carlo Calenda: l'Italie n'avait «aucune intention d'aller de l'avant» dans ces conditions. Une fin de non-recevoir déjà adressée conjointement à Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, par Carlo Calenda, son collègue du Trésor Pier Carlo Padoan et la direction de Fincantieri.
La négociation avec l'Italie «doit aboutir»
Il faut dire que la remise en cause par le nouveau président français des accords ficelés à la hâte en avril dernier a sidéré l'Italie. Les conditions posées par la France ont braquée Rome. Paris semble en effet demander davantage de gages à son partenaire européen qu'il ne l'avait fait, en son temps, pour le Coréen STX! «Je crois que c'est un bon test pour comprendre si celui qui parle d'européisme et de valeurs libérales ensuite les applique», a glissé, mordant, Carlo Calenda. À Rome, on a défini une ligne rouge: Fincantieri doit être majoritaire au capital, fût-ce à 51 % seulement, et au conseil d'administration.
Paris, qui se laisse du temps et montre sa détermination en rachetant les parts du chantier, aura donc fort à faire pour parvenir à convaincre le gouvernement cisalpin et l'industriel Fincantieri. Bruno Le Maire insiste cet après-midi, en soulignant que «la proposition reste sur la table». «La négociation n'est pas finie», a-t-il insisté: «nous voulons nous unir pour longtemps, avec l'industrie italienne». D'ailleurs, les négociations sur le rachat des chantiers navals STX France reprendront «dès mardi prochain à Rome», a affirmé Bruno Le Maire. «Nous allons reprendre la discussion, la reprendre sereinement, la reprendre dès mardi prochain à Rome et j'ai bon espoir que nous trouverons dans les semaines qui viennent les modalités de cet accord industriel européen avec l'Italie dans le domaine de la construction navale», a déclaré le ministre de l'Économie.
La France maintient donc sa volonté d'associer l'Italie au dossier, pour faire émerger un projet européen de grande envergure, aux implications civiles et militaires. Cet «Airbus du naval civil et militaire» a de quoi séduire, mais nécessitera d'abord du temps pour panser les plaies ouvertes ces derniers jours et créer les conditions d'un rapprochement.
En France, la décision largement saluée
Les représentants des salariés se réjouissaient cet après-midi de la décision française. «Cela va donner du temps pour négocier» déclarait sur BFMTV Christophe Morel, le délégué CFDT de STX France, défendant l' «équilibre» du projet d'accord à 50-50, et approuvant les propos du ministre sur le savoir-faire de l'entreprise, unique en France. Peu avant l'annonce de la préemption, Nathalie Durand Prinborgne, déléguée FO, demandait sur la chaîne d'informations une «mise sous protection de l'entreprise», qui emploie 2700 salariés, et affiche un carnet de commandes de douze milliards d'euros, plein pour les onze prochaines années. Plus mesurée, la direction de l'entreprise a pris acte de la décision mais a regretté ce nouveau délai, «fâcheux» car «il prolonge une longue période d'incertitude qui est nuisible à notre entreprise, notamment au développement de nos activités nouvelles et au montage de nos financements». «Pour autant, nous comprenons cette décision en cohérence avec les principes de préservation des intérêts nationaux», ajoute cependant le communiqué.
Politiquement, la décision devrait faire l'unanimité. Ce matin, le président de la Région Pays de la Loire et président du groupe Les Républicains au sénat, Bruno Retailleau, déclarait sur RTL appuyer le gouvernement, d'abord pour des motifs d'emploi: «l'activité navale est très cyclique, c'est-à-dire qu'il y a des hauts et des bas, qu'est-ce qui se passera quand on sera dans un creux [en cas de majorité italienne, ndlr]? Eh bien le gouvernement italien demandera à son chantier national de Fincantieri de faire travailler les Italiens plutôt que les Français». Les enjeux stratégiques sont également importants: «demain quand il faudra faire des grands navires militaires, on n'est pas capable de les construire en France ailleurs qu'à Saint-Nazaire», a-t-il développé. «Pour quelques mois on peut parfaitement nationaliser et on trouvera des opérateurs industriels, il y a déjà une vingtaine d'entreprises régionales qui se sont mobilisées», a-t-il encore estimé. À gauche, la nationalisation est également bien accueillie: interrogé par BFMTV à l'Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon a acquiescé: «le gouvernement s'est rendu compte du désastre qui menaçait».