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Pour Theresa May, des élections en forme de défi

Écrit par sur juin 8, 2017

Les jeunes Britanniques, favorables au Labour, pourraient priver la première ministre conservatrive d’une majorité absolue lors des élections législatives de jeudi.

Theresa May ne voulait prendre aucun risque, le 18 avril, en se lançant par surprise dans une bataille électorale éclair. Le moment ne pouvait être plus favorable. Le Labour était moribond, dirigé par un dinosaure impopulaire et inaudible, tandis que les conservateurs se tenaient au garde à vous devant cette première ministre de combat, partisane d’un « hard Brexit ». Un boulevard s’ouvrait devant elle.

Sept semaines plus tard, la marche triomphale s’est changée en parcours du combattant, au point que le scrutin du jeudi 8 juin a pris des airs de pari hasardeux. L’élection que Mme May ne pouvait pas perdre s’est changée en défi pour une « dame de fer » trop sûre d’elle.

Les sondages, qui lui attribuaient un avantage de 24 points sur Jeremy Corbyn dans les intentions de vote à la mi-avril, ne lui en accordent en moyenne plus que 6. Certes, les fiascos à répétition des enquêtes d’opinion britanniques incitent à la prudence, d’autant que le système électoral à un tour – le candidat arrivé en tête dans chaque circonscription est proclamé vainqueur – rend les projections en sièges très aléatoires.

La déconfiture du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, extrême droite) désormais privé de sa revendication phare du Brexit, accroît encore l’incertitude. Où vont aller les 3,8 millions d’électeurs qui l’avaient choisi en 2015 ? Plus de 30 % devraient passer aux tories, mais 15 % au Labour dans des circonscriptions où ils pourraient faire la différence.

« Corbynmania »

Cette année, les instituts de sondages s’opposent sur l’inconnue la plus déterminante du vote : la mobilisation des jeunes, ultrafavorables au Labour. Chez les moins de 25 ans, la « Corbynmania » a atteint un niveau tel que les pages « femmes » du très conservateur Telegraph tentent de répondre à l’angoissante question : « Que faire si votre enfant fait son coming-out de corbyniste ? »

Selon la propension des jeunes à aller voter jeudi, le résultat oscille entre un raz-de-marée conservateur (si les jeunes restent chez eux) et, en cas de mobilisation inédite des 18-25 ans, une débâcle où les tories perdraient leur courte majorité de cinq sièges sans être pourtant supplantés par le Labour, ce qui rendrait le pays difficilement gouvernable.

Aucune enquête ne prédit une majorité travailliste et l’entrée de Jeremy Corbyn à Downing Street. Mais toutes convergent pour décrire la spectaculaire ascension du vieux militant tiers-mondiste et pacifiste, considéré voilà encore un mois par la majorité des élus du Labour comme un « loser ».

En un mois, le député d’Islington, rebelle à son parti depuis trois décennies, a gagné 15 points de crédibilité tandis que la première ministre en a perdu 10. La majorité des électeurs, toutes opinions confondues, créditent M. Corbyn de la meilleure campagne.

Retour à la case départ ?

Le vent a tourné pour Mme May lorsqu’elle a inquiété les classes moyennes, en annonçant que les soins liés à la dépendance des personnes âgées seraient financés par un prélèvement sur les successions. Quand elle a fait brutalement volte-face tout en jurant le contraire, son slogan vantant « la force et la stabilité » de son leadership a pris du plomb dans l’aile.

L’incapacité des services de sécurité à prévenir les attentats de Manchester et du London Bridge et l’austérité budgétaire imposée à la police ont affaibli un peu plus encore son message.

Lors des dernières élections législatives, en 2015, les conservateurs avaient obtenu 36,9 % des voix contre 30,4 % au Labour d’Ed Miliband, soit 6,5 points d’écart, aboutissant au paysage parlementaire actuel, où les conservateurs détiennent 330 des 650 sièges des Communes.

Au début de la campagne, Mme May pouvait espérer en conquérir au moins une trentaine de plus. Mais si les conservateurs ne renforcent pas significativement leur majorité, la première ministre risque de revenir à la case départ et manquer les deux objectifs qu’elle s’était fixé : asseoir définitivement son emprise sur les tories et arriver porteuse d’un mandat populaire écrasant aux négociations sur le Brexit, qui vont débuter le 19 juin à Bruxelles.

Conséquences imprévisibles

Le résultat du scrutin de jeudi aura de lourdes conséquences en politique intérieure. Si Jeremy Corbyn obtient un score honorable, le projet nourri par les députés Labour de se débarrasser de lui à l’occasion d’un désastre électoral prendra l’eau. Si, au contraire, le parti connaît une bérézina, mais que M. Corbyn, fort du soutien des 500 000 adhérents revendiqués, s’accroche comme il l’a annoncé, se posera la question d’une scission et de la création d’un parti plus centriste et pro-européen.

Mais l’impact du vote pourrait d’abord se faire sentir sur le Brexit lui-même. Si Theresa May obtient la victoire retentissante qu’elle espère, elle aura les mains libres pour négocier avec les Vingt-Sept. Elle pourrait, par exemple, asseoir son ascendant sur les ultra-europhobes de son parti, qui réclament une rupture brutale avec l’Union européenne (UE) et rêvent de transformer le pays en paradis fiscal dérégulé amarré au continent.

Mais que le résultat déçoive le parti, et la première ministre sera à la merci des brexiters extrémistes. Avec des conséquences d’autant plus imprévisibles que le Brexit, gigantesque enjeu du moment, n’a pratiquement pas été débattu pendant la campagne.

M. Corbyn a tout fait pour esquiver le sujet qui divise les électeurs du Labour. Quant à Mme May, elle a réclamé les pleins pouvoirs pour obtenir un « bon accord » avec l’UE, sans jamais préciser ce que cela signifie. Quels liens commerciaux, juridiques, migratoires, sécuritaires, etc., le Royaume-Uni post-Brexit veut-il entretenir avec le continent ? La campagne pour les législatives n’aura en rien fait avancer cette question cruciale.