Hollande au Chemin des dames : «L’histoire bégaie quand le nationalisme resurgit
Écrit par Jonathan PIRIOU sur avril 16, 2017
À une semaine du premier tour de l'élection présidentielle, le chef de l'État a pris la parole dans une tonalité très politique lors de la cérémonie mémorielle qui a rendu hommage aux 200.000 soldats tombés sur l'un des lieux du plus grand désastre militaire de la Première Guerre mondiale.
Ce fut la dernière cérémonie mémorielle du quinquennat de François Hollande. Ce dimanche 16 avril, le chef de l'État français s'est rendu dans l'Aisne sur le plateau de Californie, nom de la partie orientale du Chemin des dames, pour commémorer le centenaire de cette offensive de 1917 qui fut l'un des plus grands échecs de la Première Guerre mondiale, côté français.A Cerny-en-Laonnois, non loin de la nécropole nationale où sont enterrés de nombreux combattants, le président de la République a prononcé un discours de mémoire, mais aussi d'actualité, à sept jours du premier tour de l'élection présidentielle.
Le chef de l'Etat a d'abord salué l'héroïsme des poilus. «Le Chemin des dames est le lieu où des dizaines de milliers de soldats sont allés au delà d'eux-mêmes», a dit François Hollande, qui a rappelé qu'«ils furent un million à participer à la bataille et à tomber tous les jours». Dans un écho à la cérémonie organisée la veille à l'Elysée pour la naturalisation de vingt-huit tirailleurs sénégalais, il a évoqué «ce lieu [qui] a rassemblé des combattants venant de tous horizons et même de tous continents».
François Hollande a aussi tenu un discours plus politique. Dans une allusion à peine voilée au Front national, le chef de l'Etat s'est adressé aux habitants de la région, où le parti de Marine Le Pen enregistre des scores électoraux élevés: «Le Chemin des dames, c'est la mémoire de ces terres blessées de l'Est et du Nord de la France. Que les habitants de ces régions soient conscients de leur responsabilité face au retour des discours de haine». «Dire les erreurs du passé, car elles sont autant d'alertes chaque fois que l'inconscience et l'indifférence nous menacent», a poursuivi le président, une semaine après que Marine Le Pen a déclaré que la France n'était pas responsable du Vél'd'Hiv. Français Hollande a mis en garde contre «la barbarie [qui] est toujours là», expliquant que «l'histoire bégaie quand le nationalisme resurgit, avec d'autres traits mais avec la même haine».En commémorant la Grande Guerre, nous ne regardons pas seulement le passé (…) nous nous tournons justement dans cette période vers nos responsabilités d'aujourd'hui», a affirmé François Hollande. L'occasion aussi pour le président de la République de défendre l'ONU, «qu'il nous faut encore défendre», le couple franco-allemand, «qu'il nous faut encore rapprocher et chérir» et l'Europe «qui a su nous prémunir des guerres et qu'il nous faut encore promouvoir». «Alors préservons-là plutôt que d'en faire le bouc-émissaire de nos renoncements», a lancé François Hollande. «Luttons pour cette exigence d'humanité partout où des massacres sont commis par des dictateurs cyniques, battons-nous pour éviter la résurgence des empires et affirmer la force du droit international. Battons-nous pour la dignité humaine. C'est ce double message (…) que nous portons en revenant 100 ans plus tard au Chemin des dames», a-t-il conclu dans une allusion là encore à peine voilée à la guerre en Syrie et aux rivalités entre Washington, Pékin et Moscou.
Pour François Hollande, la bataille revêt un caractère particulier. Il a rendu hommage à son grand-père Gustave, alors sergent dans l'infanterie, qui a participé à l'assaut.Après le discours présidentiel, pour la première fois depuis cent ans, la Chanson de Craonne a été entonnée devant un chef d'État français. Cet hymne a été celui qui a ancré définitivement cette offensive dans une grille de lecture pacifiste, antimilitariste et marquée par la lutte des classes. Il suscite encore aujourd'hui des polémiques. «C'est à Craonne, sur le plateau/qu'on doit laisser sa peau/Car nous sommes tous condamnés/Nous sommes les sacrifiés», chanteront donc le 16 avril, plus de 50 choristes Basques et Corses.
Les sentiers de la gloire
C'est surtout au Chemin des dames que naît l'immense crise des mutineries du printemps et de l'été de 1917. À la mesure de l'espoir placé dans l'offensive, son échec débouche sur une remise en question profonde des modalités de direction de la guerre. Le soldat citoyen français négocie spontanément, sur le terrain, les conditions d'acceptation de la guerre, remettant en cause l'expertise du haut commandement. Entre 30.000 et 40.000 hommes participèrent à des mutineries qui surviennent souvent à l'arrière, au sein de troupes au repos venant de risquer leur vie pour des avancées quasi-nulles et contraintes pourtant de vite remonter au front.
Loin de Verdun, symbole de résistance héroïque, cette bataille apparaissait comme un épisode douloureux plus difficile à honorer. Dans ce contexte, le discours du premier ministre socialiste Lionel Jospin en 1998 a fait date: il a donné pour la première fois toute leur place dans l'histoire du premier conflit mondial, et rendu hommage, malgré les polémiques, aux «fusillés pour l'exemple». «Que ces soldats (…) réintègrent aujourd'hui, pleinement, notre mémoire collective nationale», avait-il déclaré.
Mémoire collective
La répression des mutineries, qui tient une place importante dans la mémoire collective des Français, a été illustrée par le film de Stanley Kubrick: Les sentiers de la gloire. Le long-métrage met en scène l'histoire de trois soldats fusillés pour l'exemple après l'échec d'une offensive contre une position allemande imprenable. Sous la pression et la menace de représailles d'associations d'anciens combattants français et belges, le gouvernement français, alors plongé dans les remous de la guerre d'Algérie, proteste auprès de la United Artists pour que le film soit déprogrammé. Devant l'ampleur du mouvement contestataire, les producteurs du film décident de ne pas le distribuer en France. Ce n'est que dix-huit ans plus tard, en 1975, que le film est finalement projeté dans l'Hexagone.