Fusillade au lycée Tocqueville de Grasse : la sécurisation des établissements scolaires mise à l’épreuve
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mars 17, 2017
Les élèves ont entendu "alerte attentat" dans un haut-parleur et se sont mis sous les tables. Voilà comment le lycée Alexis-de-Tocqueville, à Grasse (Alpes-Maritimes), a été confronté à sa première intrusion armée en conditions réelles, jeudi 16 mars. Un élève de première, âgé de 17 ans, est entré dans l'établissement lourdement armé et a ouvert le feu. Trois personnes – deux élèves et le proviseur adjoint – ont été légèrement blessées par des tirs de plombs. Cinq autres lycéens ont été blessés dans le mouvement de foule et de panique.
Depuis la rentrée 2016, 92% des établissements scolaires, de la maternelle au lycée, ont organisé au moins un exercice "attentat intrusion", selon un premier bilan des mesures de sécurité mises en place par le ministère de l'Education nationale dans la foulée de l'attentat de Nice. C'est le cas du lycée Tocqueville, qui a réalisé cet exercice en octobre dernier, d'après l'académie.
Evacuer ou se confiner dans les classes ?
Cette actualisation des Plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) face au risque terroriste prévoit deux scénarios en cas d'intrusion armée : le confinement ou l'évacuation des élèves, selon la configuration des locaux et l'état de la menace. Les exercices sont menés en ce sens. Mais dans la réalité, les deux options peuvent s'imposer.
Au lycée Tocqueville, qui accueille 850 élèves, les réactions ont différé selon l'emplacement des élèves. Quand les coups de feu ont retenti, vers 12h45, certains se trouvaient dans les classes, d'autres dans la cour où à la cantine. Dans la classe de première de Marianna, l'enseignant a collé à la lettre aux consignes des autorités.
On a entendu 'alerte attentat'. On a fermé les fenêtres, on a poussé un meuble devant la porte et on s'est tous mis sous les tables.
Marianna, une lycéenne
à franceinfo
Panique à tous les étages
Dans d'autres classes, la gestion de l'évènement a été tout autre. "Une masse d'élèves sont rentrés dans notre classe et nous ont dit qu'il fallait sortir par la fenêtre car il y avait un homme armé, on n'a pas réfléchi, on est sortis, on est arrivés sur le parking des professeurs, on a dû escalader pour sortir du lycée et on s'est tous rejoints au McDo", raconte une autre élève sur RTL. Selon le directeur de l'hôpital de Grasse, interrogé par l'AFP, certains "se sont blessés aux mains en enjambant des grillages dans la panique".
Quant aux élèves dans la cour, "ils se sont mis à courir dans tous les sens pour se cacher", raconte Marianna, qui a eu le temps d'apercevoir ce qu'il se passait en allant fermer une fenêtre. "Certains se sont réfugiés dans la cantine. Mais le tireur est entré et ils ont fui de nouveau." Selon elle, une poignée d'élèves ont réussi à se cacher dans les cuisines et à refermer les portes.
Sur BFMTV, Achraf témoigne lui aussi d'une scène de panique : "Au début, on s'est mis sous les tables mais ensuite on a tous couru vers l'extérieur. Tout le monde essayait de se sauver, même la surveillante. A un moment, elle voulait fermer les portes, mais elle a fini par courir elle aussi."
Le "sang-froid incroyable" du proviseur adjoint
Les policiers sont arrivés rapidement sur place. Ils ont été appelés par la direction de l'établissement, le lycée n'étant pas équipé d'une alarme directement reliée au commissariat, à l'inverse des écoles de certaines villes du département, comme Nice et Cannes. Après avoir maîtrisé le tireur, "ils sont venus et ont frappé à la porte, ils sont allés dans les salles où il y avait d'autres élèves et on nous a fait sortir accroupis contre le mur pour nous mettre en sécurité", rapporte encore Marianna. L'élève estime avoir été bien encadrée et sécurisée par son enseignant et les forces de l'ordre.
Comme le prévoit le PPMS, une cellule de crise a aussitôt été déclenchée au niveau de l'académie de Nice et tous les établissements scolaires de la ville de Grasse ont été confinés, le temps que la situation soit maîtrisée. Signe que des réflexes ont été acquis depuis la publication de la circulaire de la rentrée 2016. Quant au proviseur blessé, il a "fait preuve d'un sang-froid incroyable", selon des élèves interrogés par Nice-Matin. Il "s'est précipité vers l'agresseur" et a "tenté de le raisonner", a complété la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, qualifiant cette action d'"héroïque".
Hasard du calendrier, un bilan de la sécurité des établissements scolaires face à la menace terroriste a été remis au ministère de l'Education nationale, jeudi 16 mars. Si ce rapport constate que la communauté éducative s'est bien emparée des consignes, il formule 21 recommandations pour les rendre plus claires et plus opérantes. Début mars, l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement avait aussi préconisé de clarifier la conduite à tenir pour les chefs d’établissement.
Le débat sur les fouilles relancé
Si la piste terroriste est écartée par le parquet dans cette affaire, il n'en reste pas moins qu'un élève a pu s'introduire dans son lycée avec un véritable arsenal, dont on ne sait pas si toutes les armes étaient opérantes (fusil, pistolet, revolver et deux grenades). "Inconcevable", selon Christian Estrosi, le président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
L'élu des Républicains souhaite une entrevue rapide avec la ministre de l’Education nationale et avec le préfet pour leur "demander des moyens humains supplémentaires". Objectif : pouvoir mener une opération de filtrage qui "feront des lycées des sanctuaires de la République, garantissant la sécurité de nos élèves". Le débat sur les fouilles à l'entrée des établissements scolaires est relancé.
Après les attentats du 13-Novembre, la question d'installer des portiques et des détecteurs de métaux dans les lycées s'était également posée. L'académie de Nice n'a pas souscrit à cette mesure, très coûteuse. En Auvergne-Rhône-Alpes, une trentaine de lycées ont finalement été équipés de portiques ou de tourniquets, sur les 322 visés par le président LR de la région, Laurent Wauquiez.