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Le Nobel de la paix pour Juan Manuel Santos, le Mandela colombien

Écrit par sur octobre 7, 2016

Juan Manuel Santos est un homme opiniâtre et déterminé. Il attendait ce moment depuis très longtemps. Celui de la réconciliation nationale, bien avant ce prix Nobel de la paix qui comble vingt années de diplomatie secrète et de guerre au terrorisme.

Elu Président de la République de Colombie, en 2010, ce fils d’une des grandes familles de Bogota, dont les ancêtres ont fondé le célèbre quotidien "El Tiempo", n’a eu, depuis sa jeunesse, qu’une obsession : en finir avec la guerre civile absurde et meurtrière qui ensanglante son pays depuis plus de 50 ans. Comme tous les fils de la grande bourgeoisie colombienne, le tout nouveau Prix Nobel a d’abord suivi ses études aux Etats-Unis, à l’université du Kansas puis à Harvard, avant de partir pour Londres, où il a étudié l’économie et la diplomatie.

A son retour en Colombie, à 33 ans, il a d’abord travaillé dans le journal familial, comme sous-directeur de la rédaction, avant de plonger dans l’arène politique. Journaliste, il couvre alors le conflit sandiniste, raconte dans le quotidien les ravages de la guerre civile sur les populations du Nicaragua. Il comprend alors que son avenir n’est ni dans le journalisme ni dans les affaires, mais dans la quête obstinée de la paix pour son pays. Comment sortir la Colombie du drame qui la dévaste depuis des décennies ?

Un partisan de l'Etat de droit

Ce conflit armé avec la guérilla marxiste des Farc, née d’une révolte paysanne, devenue au fil des ans une armée de narcotrafiquants contrôlant des pans entiers du territoire national, en particulier dans les zones rurales, paraissait sans fin. Juan Manuel Santos, qui se qualifie "d’extrême centre" se lance alors en politique, adhère au Parti Libéral, d’inspiration blairiste, au milieu des années 80, derrière un leader charismatique, Cesar Gaviria, homme de dialogue mais aussi déterminé à lutter contre les tout puissants narcotrafiquants, parmi lesquels Pablo Escobar. C’est sous la présidence Gaviria, en 1993, alors que Juan Manuel Santos est ministre du Commerce Extérieur, que Pablo Escobar est éliminé par l'armée.

Au cours de cette décennie, le jeune ministre assiste, impuissant, à la guerre que se livrent les Farc, les milices d’extrême droite paramilitaires et les mafias de la drogue. Il participe à des tentatives de règlement pacifiques du conflit, sans succès. Il est alors traité de "munichois" par les faucons de la droite colombienne. Il quitte un temps la politique, écrit un livre, "La troisième voie", dans lequel il théorise sa stratégie pour aller vers la paix. Il se dit "blairiste" en matière d’économie, mais surtout partisan de l’Etat de droit.

Comment accepter que la moitié du pays soit livrée aux mains des milices armées, véritables bandes qui pratiquent le kidnapping, le rançonnage, les hod-up et les assassinats. Juan Manuel Santos est convaincu qu’il n’y aura pas de paix possible sans reprise en mains de l’Etat sur l’ensemble de la Colombie. Il s’allie alors avec le très droitier Alvaro Uribe, président de la République, proche de Georges Bush, l’homme des grands propriétaires terriens colombiens, cette caste qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée au gouvernement de gens comme Santos, le modérateur. Paradoxe : ce dernier accepte le poste le plus exposé, celui de ministre de la Défense.

Des plaies qui restent à panser

Les deux hommes fondent alors un nouveau mouvement le Parti Social d’Union Nationale et travaillent main dans la main, malgré leurs divergences politiques. Santos n’est pas un Gandhi latino-américain. Il dirige les militaires d'une main de fer. Peu à peu, l’armée colombienne récupère du terrain sur les rebelles de toutes tendances. "L’Etat de droit" progresse. Juan Manuel Santos, durant cette période, au milieu des années 2000, se révèle un chef de guerre habile et redoutable. C’est sous son autorité qu’Ingrid Betancourt est libérée, après une opération digne d’un film d’espionnage, au cours de laquelle les militaires colombiens se sont fait passer pour des membres d’une association humanitaire proche du président vénézuélien, Hugo Chavez.

Quand il accède au pouvoir, en 2010, Juan Manuel Santos, est auréolé de ses nombreux succès militaires contre la guérilla. Il veut en finir avec l’éternelle guerre de frontière avec le Vénézuéla, tend la main à Hugo Chavez, mène une politique anti-corruption tous azimuts et surtout, organise une redistribution des terres arables aux paysans. Près de trois millions d’hectares rendus à trois millions d’habitants chassés par la guerre civile. Evénement historique salué par l’immense majorité des Colombiens. Sa politique mécontente les grands propriétaires ? Son ancien allié, Alvaro Uribe, devient son plus ardent contempteur ? Il fonce, porté par une popularité insolente, plus de 70% d’opinions favorables. A la surprise de nombre de ses partisans, il se déclare partisan de la légalisation de la marijuana, pour affaiblir les "narcos".

Réélu président en 2014, il s’engage alors résolument en faveur d’un règlement pacifique du conflit colombien. Il déclare que son modèle est Nelson Mandela et qu’il faudra, pour réussir la paix "savoir pardonner". Des émissaires des belligérants se réunissent durant de longs mois à Cuba, sous l’égide de Raoul Castro. Au bout d'interminables négociations secrètes, le 24 août, les Farc annoncent un cessez-le-feu historique et s’engagent à rendre les armes. Presque miraculeux, tant les Colombiens, fatalistes, ne croyait pas à une solution paisible.

"Le chemin de la paix ne sera pas un tapis de roses", a alors déclaré Juan Manuel Santos.

Le 2 octobre, les Colombiens, consultés par référendum,s’opposent à une très courte majorité (51%) à ce programme de réconciliation nationale, trop laxiste, selon eux. Le nouveau prix Nobel de la paix n’a pas encore fini de panser les plaies d’une guerre civile qui a fait plus de 260.000 morts et plus de 7 millions de "déplacés". Mais pour beaucoup, il a déjà réussi l’impossible : en finir avec un conflit armé d’un autre temps.