Surpopulation carcérale: Urvoas veut repenser la prison
Écrit par Jonathan PIRIOU sur septembre 20, 2016
De manière inédite, le nouveau garde des Sceaux a parlé des prisons aux Français depuis une grosse maison d'arrêt francilienne, la prison de Fresnes, sur un ton de bâtisseur très réformiste.
L'art du symbole ou de la communication? C'est en tout cas sans précédent, de mémoire de journaliste judiciaire, qu'un garde des Sceaux tienne une conférence de presse au sein d'un établissement pénitentiaire, tout près des coursives. Presque une provocation, puisque Jean-Jacques Urvoas a choisi de présenter son rapport sur l'encellulement individuel dans une maison d'arrêt particulièrement surpeuplée, au coeur d'une cocotte-minute monstrueuse, celle de Fresnes, avec 2829 détenus pour 1607 places (176% de taux d'occupation).
Des annonces à contretemps
"Il faut repenser la prison." Le garde des Sceaux n'est pas avare d'ambition, loin des propos convenus, avec des propositions quasi révolutionnaires dans un monde pénitentiaire particulièrement conservateur. Ce courage donne le sentiment qu'il est à contretemps, inconscient du calendrier politique. Jean-Jacques Urvoas a fait un discours de début de quinquennat… alors que celui-ci se termine dans un semestre. Son offensive médiatique sur les prisons n'est en rien électoraliste: parler des prisons n'a jamais rapporté une voix…
Son coup politique, c'est avant tout de lancer une nouvelle unité de mesure qui ringardise tous les autres, y compris à gauche. Alors que les prétendants de droite à l'Elysée se battent en annonçant 10 000, 15 000 ou 20 000 places de prisons supplémentaires, que Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira en promettaient 6500 sur cinq ans et Manuel Valls 10 000 sur dix ans, lui, Jean-Jacques Urvoas, souhaite la construction de 10 309 à 16 143 cellules… afin d'atteindre le taux de 80% d'encellulement individuel, un droit qui date de 1875 mais n'a jamais été appliqué. 10 000 à 16 000 cellules nouvelles, voilà qui place la barre très haut, l'équivalent de 11 000 à 17 650 places (avec les cellules doubles).
Restent quelques inconnues sur le financement et la durée de ce programme. On sait juste que l'addition se chiffrera en milliards d'euros et que l'horizon est à 2025. Au mieux. Comme le déclare Urvoas lui-même, en matière pénitentiaire, le futur est toujours mensonger. Autrement dit, entre les lignes: aucune promesse antérieure de construction de prison n'a jusqu'ici été tenue.
Une doctrine architecturale
Son programme, Jean-Jacques Urvoas le sait, ne peut être réalisé qu'en deux quinquennats, 2017-2022 et 2022-2027. D'où son appel à tous les partis: "Sur cette question, un consensus politique est possible." En pleine campagne présidentielle, il faut se pincer pour y croire.
Cela n'empêche pas le ministre de la Justice, locataire Place Vendôme depuis 7 mois et 25 jours, de tenir des propos très réformistes. Il appelle à "bâtir une doctrine architecturale" – après avoir osé dire qu'il n'y en avait donc pas aujourd'hui. Que l'on a, jusqu'à présent, construit sans trop réfléchir.
Pour cette réflexion à mener, il fixe deux objectifs, qui semblent simples et évidents: les prisons sont faites 1. pour purger une peine, 2. pour préparer la réinsertion. Le second objectif n'est pas rempli, pas seulement à cause de la surpopulation carcérale. Et le ministre de lancer deux pistes: diminuer la taille des établissements et les rapprocher des centres-villes, les contacts détenus-familles favorisant la réinsertion.
3900 cellules et 28 QPS en plus
Comme il ne s'agit pas que de se payer de mots – lui aussi veut son bilan -, le garde des Sceaux a fixé des objectifs à court terme. Le lancement d'une tranche de construction de 3900 cellules individuelles en 2017 (en Ile-de-France, Paca et dans la région pénitentiaire de Toulouse) et la création de 28 QPS. QPS? Un nouvel acronyme pour Quartier de Préparation à la Sortie (de prison, bien sûr), qui remplacera un certain nombre de structures comme les quartiers pour peines aménagées (QPA), les quartiers nouveau concept (QNC) ou les quartiers courtes peines (QCP).
Une simplification et un message martelé avec force: il faut un sas pour passer de la prison à la vie dehors, sinon les taux de récidives sont énormes. Afin d'éviter le retour à la case prison de bien des délinquants, il y a encore beaucoup à dire et à faire. Jean-Jacques Urvoas le sait. Il prévoit de remettre au Parlement en octobre un rapport d'évaluation sur la loi Taubira de 2014, qui a créé la contrainte pénale, ce fiasco judiciaire.
Il devrait aussi répondre au rapport très critique de la Cour des comptes (début 2016) sur la collaboration entre les juges d'application des peines et les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Deux professions méconnues des Français et pourtant essentielles pour mettre fin aux spirales récidivistes.