En ce moment

Titre

Artiste


Macron et Sapin, ravis de divorcer

Écrit par sur août 31, 2016

Démissionnaire, le ministre de l'Economie a passé mercredi ses pouvoirs à son collègue des Finances, désormais à la tête d'un Bercy réunifié après dix-huit mois de relations tumultueuses.La cérémonie fut expéditive. Mercredi, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie démissionnaire, a passé le relais à son collègue des Finances Michel Sapin au terme d’un discours minimaliste, plus critique que tendre. «Nous n’avons pas tout réussi, nous n’avons pas tout terminé, il reste beaucoup de choses à faire», regrette Macron, qui, s’il dit sa«fierté» d’avoir servi dans le «gouvernement de Manuel Valls et au service du Président de la République» évite de s’appesantir sur sa cohabitation tumultueuse avec son aîné du 6e étage. Tout à sa nouvelle aventure, Macron en reste à l’autocélébration: «Si vous voulez prendre la mer sans risque de chavirer, alors n’achetez pas un bateau, achetez une île», poursuit-il citant Marcel Pagnol, «Bercy est une île formidable, j’ai été très fier d’y être arrivé. C’est une île essentielle de l’archipel que forme l’Etat. Les circonstances que nous vivons imposent de prendre des risques, et si j’ose cette métaphore : de prendre la mer. Je me devais de prendre la mer dans une embarcation résolument plus frêle mais avec un cap, et une volonté de prendre ce risque.»  Façon de suggérer que de «cap» et de «volonté», Bercy manquerait singulièrement. Soucieux des apparences, Michel Sapin dit regretter «à titre personnel et collectif» le départ du locataire du 3e étage. Mais en son for intérieur, celui qui est désormais à la tête d’un Bercy réunifié pense plutôt «bon vent».

Escargots

C’est qu’entre les deux hommes, l’agacement est, depuis dix-huit mois, réciproque. D’emblée, Sapin qui comprend mal la bienveillance de son ami Hollande vis-à-vis d’un Macron qu’il juge inutilement provocateur, ne perd jamais l’occasion d’une vanne: «Tu es comme les escargots, tu baves tout le temps», lui balance-t-il mi avril 2015 à l’ouverture d’un conseil des ministres. A cette «plaisanterie» pour le moins vacharde, Macron oppose un sourire éclatant. «C’est son arme le sourire: cela lui évite de répondre à beaucoup de questions», confiera plus tard le ministre des Finances, pourtant sensible à «l’intelligence et à la finesse»de son jeune collègue.

En juillet 2015, le différend entre les deux hommes prend une tournure plus sérieuse. Sa loi désormais derrière lui, l’hyperactif Macron entreprend de s’immiscer dans la gestion de la crise grecque, pré carré de Sapin. L’intérêt de l’ancien secrétaire général de l’Elysée pour la chose européenne l’y pousse. Sa soif inextinguible de lumière, lui dont les dossiers courants se prêtent mal à l’exposition médiatique, aussi. Mais pour Sapin, les interventions intempestives de son collègue brouillent le message de la France dans des négociations internationales particulièrement délicates. Quand il surprend Macron en train de disserter de la situation de la Grèce devant une trentaine de journalistes, Sapin cache mal son irritation. Choisissant de brouiller les pistes, Macron lui lance sur un ton faussement badin: «Tu tombes bien, ce monsieur vient aussi de m’interroger perfidement sur le budget. Il pense qu’on ne réduit pas assez le déficit…» – «On verra plus tard» lui répond un Sapin glacial.

Ni droite, ni gauche

L’ambition du locataire du ministre de l’Economie va attiser les braises. Macron, qui doit vite renoncer à mettre la main sur le portefeuille du Travail après le départ de François Rebsamen du gouvernement, œuvre en coulisse pour s’emparer de la maison Bercy à l’occasion du remaniement de févier. Mi-décembre 2015, alors qu’il raccompagne le président béninois et son Premier ministre à l’entrée de l’hôtel des ministres, Macron tombe sur Sapin. Faussement affectif, le ministre des Finances prend alors son collègue par les épaules en disant aux deux autres : «Vous savez qu’il veut prendre ma place ?» Ambiance.

Sapin n’est pas rancunier mais il s’inquiète pour Hollande. L’individualisme de Macron lui fait craindre le pire. Surtout, le maître de Bercy s’étonne de la dichotomie grandissante entre le discours de son jeune collègue et la réalité de sa pratique. Contraint d’intégrer dans sa loi plusieurs dispositions de la loi NOE (Nouvelles opportunités économiques) avorté, le cabinet de Sapin en fait la douloureuse expérience: «Les conseillers de Macron voulaient imposer leurs mesures, sans qu’aucunes consultations ni discussions n’aient eu lieu au préalable, confie un conseiller de Sapin. Ils foutent le feu et ensuite on est obligé de ramer pour l’éteindre.» Un radicalisme assez éloigné de la recherche de «dialogue» et de «compromis» que célèbre en toutes occasions le ministre de l’Economie.

Le lancement d’En Marche!, le parti «ni de droite, ni de gauche» de Macron, alimente la méfiance. «Moi, je fais la différence entre la droite et la gauche…», glisse Sapin, socialiste de toujours et hollandais historique, lors d’un déplacement en Afrique, plus convaincu que jamais qu’il est temps pour le Président de la République de travailler au rassemblement de la gauche. Pourtant, une nouvelle fois, Hollande temporise.

La tension est telle à Bercy, que lorsque les discussions que Macron a engagées avec le fisc pour éviter d’avoir à payer l’ISF sont dévoilées par la presse, le ministre de l’Economie soupçonne immédiatement son collègue d’être à l’origine de la fuite. Sans preuve. Mardi, Macron a mis fin à ce mariage forcé