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Patrick Bruel : “Ma si longue histoire avec Barbara…”

Écrit par sur novembre 22, 2015

Le chanteur sort fin novembre une reprise des chansons de Barbara, dont l'œuvre n'a cessé de l'accompagner et de l'inspirer. Il sait qu'on l'attend au tournant, mais l'envie était plus forte que tout : Bruel voulait rendre à Barbara ce qu'elle lui a donné depuis des années. Des textes magnifiques, une émotion vocale, un modèle aussi, à travers le sacerdoce que la vestale de la chanson française s'imposait dans son art. Certains puristes risquent d'être déçus, forcément, mais son album, intitulé Très souvent, je pense à vous…, comporte quelques belles interprétations comme « Mon enfance », « À mourir pour mourir », « Pantin » et surtout « Le Mal de vivre », que le chanteur a su s'approprier à sa manière. Rencontre avec le premier des fans de la Dame en noir.

Le Point.fr : Votre fascination pour Barbara date de quand ?

Patrick Bruel : De mon enfance. C'est ma mère qui me l'a fait découvrir, j'ai eu de la chance de tomber sur une maman qui avait de bons goûts musicaux… À l'époque, elle est enseignante à Argenteuil, j'ai 5 ou 6 ans, on écoute Brassens, Ferré, Ferrat… et Barbara. Elle fait partie de notre quotidien, notre vie. Sa vie et ses chansons commencent à m'accompagner. À 9 ans, j'écoute en boucle « Madame » et « À mourir pour mourir », c'est pour ça que je tenais absolument à ouvrir et fermer l'album avec ces chansons.

Ce n'est pas courant pour un gamin d'écouter du Barbara !

À l'époque, je suis plutôt solitaire, j'étais dans mon univers, je n'écoutais pas de chansons avec mes potes. Ça viendra plus tard, quand je les traînerai avec moi à ses concerts… Je trouve en elle quelque chose de caressant, elle m'accompagne avec sa voix incroyable. Quand elle sort « L'Aigle noir », en 1970, ce sera son premier grand tube, et le seul. Mais je la connais déjà bien. En fait, elle ne m'a jamais quitté. Elle a toujours été ma chanteuse préférée.

Vous dites sur Facebook qu'elle a « su [vous] apaiser quand tout s'en allait »…

C'était pendant l'adolescence, avec des difficultés personnelles que l'on vivait avec ma mère, un moment difficile pour moi. Elle était là, avec cette voix que l'on aime retrouver. On a toujours besoin de se réfugier à un moment donné dans une œuvre artistique, un auteur, une voix… J'écoutais aussi du Reggiani à l'époque, en ignorant d'ailleurs que c'est Barbara qui l'avait poussé dans le métier. J'ai aimé ces deux personnes en même temps, vers 1973. Mais ça ne m'empêchait pas aussi d'aller voir les Stones à Bruxelles, ou d'apprécier Genesis.

Vous l'avez rencontrée dans votre carrière ?

À Mogador, en 1990. J'étais déjà connu, ça facilitait les choses. Mais je ne voulais pas forcément la voir. J'avais un rapport tellement fort avec ses chansons, ça me suffisait. Peur d'être déçu, sans doute. Je n'osais pas. Et puis j'y suis allé, je me suis retrouvé devant sa loge, la porte s'ouvre : « Enfin ! » me lance-t-elle. On a beaucoup parlé ensemble, elle a levé tous mes doutes, toutes mes craintes. Et quelques jours plus tard, j'emmenais ma mère, invitée par Barbara. C'était un très joli moment. La boucle se bouclait en quelque sorte. On a gardé ensuite un lien très fort, on s'écrivait beaucoup, notamment par fax. Un soir, quand j'étais au Zénith, elle m'a envoyé un texte qui se terminait par ces quelques mots : « Très souvent, je pense à vous, avec force et tendresse. » D'où le titre de l'album. Mon grand regret, c'est qu'elle ne soit jamais venue m'écouter. C'est terrible pour moi, terrible.

Votre mère doit être ravie de vous voir chanter l'une de ses artistes préférées ?

Elle a même suivi l'enregistrement de près, toutes les étapes, pas comme une gardienne du temple, mais avec un œil inhabituel sur le travail. Elle donne toujours son avis sur mes albums… Mais là, j'ai senti qu'elle portait un regard qui avait une résonnance différente.

C'est facile de chanter du Barbara ?

Elle ne se chante pas, elle s'écoute. Je n'ai jamais voulu la chanter avec une guitare, entre copains, au coin du feu. Ce n'est pas possible. J'ai commencé par « Vienne » dans mes concerts, je ressentais une vraie émotion. Je me suis dit que je ne pouvais pas en rester là, notamment en janvier dernier quand j'ai interprété cette chanson avec un orchestre symphonique, à l'Opéra Garnier. Et j'ai procédé comme pour l'album Entre-deux, qui reprenait des titres des années 1930. Je me suis rapproché délicatement des chansons, pour voir si elle voulait bien de moi.Qu'est-ce qui a guidé votre liste ?

J'ai choisi celles qui me parlaient le plus, comme « Madame », « Drouot », « Du bout des lèvres » et bien sûr « Mon enfance »… On a enregistré les titres en une prise, d'un seul coup. On choisissait ensuite la meilleure, mais sans raccord ni montage. Je l'ai fait sans copier l'original ni forcer sur les notes pointues, comme Barbara pouvait le faire. Et j'ai redécouvert la puissance de ses textes devant le micro.

Vous vous attaquez à une idole, avec ses admirateurs et ses défenseurs. Vous n'avez pas peur des critiques ?

Le risque, ce n'est pas grave. Le plus grand risque dans la vie, dans notre carrière, notre métier, c'est de ne pas en prendre. Je n'ai pas de souci avec cet album à partir du moment où je suis cohérent dans ma démarche. Mon seul frein était de savoir si les chansons voulaient de moi. Je voudrais que les gens soient curieux de les entendre. Et à l'arrivée, ça me ferait plaisir qu'ils soient heureux d'avoir été curieux.

Certains vont dire qu'ils préfèrent l'original à votre interprétation…

Mais heureusement ! Moi aussi, je préfère l'original ! Je suis aussi l'un de ses premiers fans ! J'ai beaucoup de mal à envisager d'entendre Barbara  chantée par quelqu'un d'autre. Mais le principe d'une œuvre, c'est de pouvoir être interprétée par d'autres artistes, que ce soit une pièce de théâtre ou un morceau de musique. Je serais très content de faire connaître Barbara à ceux chez qui ce nom ne dit rien, notamment chez les jeunes. J'ai toujours un petit pincement au cœur quand j'évoque son nom et qu'on me répond : Barbara qui ? Tant mieux si l'album permet d'aller la découvrir.

Quand pensent vos deux garçons, Oscar et Léon (12 et 10 ans, NDLR) ? Ils ont écouté l'album ?

Ils entendent du Barbara depuis toujours. Mais je ne veux pas forcer les choses. Je leur faisais écouter les titres que je venais d'enregistrer, dans la voiture, en les emmenant à l'école. « Nantes », « Mon enfance », « Ma plus belle histoire d'amour »… Et le grand me dit soudain : C'est très triste… (il éclate de rire) Il est allé ensuite à l'école, et le soir, il a dit à sa mère : Papa, il a un album très triste… Et puis, à un moment donné, quand l'album allait se terminer, il m'a demandé un lien avec toutes les chansons. Il voulait les écouter en un seul tenant. Je sais qu'il aime beaucoup « L'Aigle noir ».

Cet album, c'est aussi une façon de remercier Barbara, de rendre ce que vous avez reçu ?

Absolument. Une façon de lui dire : Je vous remercie de vous, comme elle nous l'a répété toute sa vie et durant toute sa carrière. Nous, son public, on a été sa plus belle histoire d'amour, c'est vrai. Ce n'est pas feint, pas fabriqué. Je me suis d'ailleurs nourri de ses concerts, et j'ai retrouvé plus tard la même relation forte avec mon propre public. La différence, c'est que mon début de carrière n'a pas été aussi long et difficile que la sienne. Elle a vécu des moments terribles, notamment la pire et la plus douloureuse relation qui soit entre une fille et son père. À partir de là, elle s'accroche au piano, à la voix, au chant…  Elle va se battre, glisser, tomber… La première fois qu'elle va au cabaret L'Écluse, pour passer une audition, on lui fait savoir qu'on cherche quelqu'un pour la plonge. Elle va donc faire la vaisselle pendant que les autres passent tous les soirs sur scène. Et elle finira par devenir la vedette ! Mais qu'elle fut longue, la route !Barbara dénonce les ravages de la guerre et de la haine dans « Perlimpinpin », que vous reprenez. Que vous inspirent les attentats dont a été victime dernièrement la France ?

Je suis meurtri, comme tout le monde. J'ai eu peur et j'ai eu mal. Les êtres qui me sont le plus chers au monde étaient au match, au Stade de France, et j'ai perdu deux amis au Bataclan. J'oscille entre la colère et une immense tristesse. J'ai surtout envie d'une vraie unité et d'un comportement digne de la part de tous, des politiques comme des citoyens. La France a plus que jamais besoin d'unité. On est à quelques semaines d'une échéance électorale, et se servir de cette tragédie pour en faire un terreau électoral, je trouve cela navrant.