Keystone : Obama enterre un symbole du réchauffement climatique
Écrit par Jonathan PIRIOU sur novembre 7, 2015
Barack Obama a fini par trancher. En annonçant, vendredi 6 novembre, que les Etats-Unis rejetaient la demande de permis de la société TransCanada pour la construction d’un nouvel oléoduc reliant la province canadienne de l’Alberta au golfe du Mexique, le poumon pétrolier du pays, le président des Etats-Unis a mis un terme à des années de polémiques. Le projet Keystone XL nécessitait une autorisation présidentielle du fait de son caractère transfrontalier. D’une capacité d’environ 800 000 barils par jour, courant sur près de 1 900 kilomètres à travers le Montana, le Dakota du Sud et le Nebraska, il devait être raccordé à des tronçons déjà réalisés.
Parmi toutes les explications fournies pour justifier sa décision, la plus convaincante a sans doute été la dernière avancée. « Approuver un tel projet aurait affaibli notre position de leader sur le climat », a assuré M. Obama. Le président a également annoncé à cette occasion qu’il sera bien présent à la conférence de Paris sur le climat (COP21) avec ses homologues, en décembre, « autour d’un plan ambitieux pour protéger la planète pendant que nous le pouvons encore ». De nombreux candidats à l’investiture républicaine, dont Marco Rubio et Ted Cruz, l’ont vivement critiqué, assurant qu’ils reviendront sur sa décision s’ils sont élus à la Maison Blanche en 2016.
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L’affaire Keystone XL commence dans une quasi-indifférence en septembre 2008. Une demande de permis est adressée par TransCanada à la Maison Blanche, quelque mois avant que M. Obama ne s’y installe. Le projet fait l’objet tout d’abord de divergences de vue feutrées entre le département d’Etat et l’Agence de protection de l’environnement avant de devenir un sujet de préoccupation pour les défenseurs de l’environnement. En juin 2011, un climatologue de la NASA engagé contre le réchauffement climatique, James Hansen, publie un article retentissant dans lequel il assure que l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta, plus polluante que la production conventionnelle, va rendre « impossible » une stabilisation du climat.
Keystone devient un symbole
Deux mois plus tard, des milliers d’opposants se massent pendant deux semaines devant la Maison Blanche (plus de 1 200 sont arrêtés). Des Prix Nobel prennent position contre le projet et chaque déplacement de M. Obama dans le pays est ponctué de manifestations. En novembre, pour tenter de calmer les esprits, les autorités américaines annoncent le lancement d’une étude d’impact approfondie. La mobilisation des opposants provoque celle des défenseurs du projet, longtemps silencieux. Le candidat républicain à la présidentielle de 2012, Mitt Romney, prend fait et cause pour Keystone XL. Après la réélection de M. Obama, le projet devient un sujet de contentieux récurrent entre le Parti républicain et le président, qui se retranche derrière l’étude en cours au département d’Etat pour éviter de se prononcer.
Rejoints par les démocrates élus d’Etats concernés par l’exploitation pétrolière, les républicains devenus majoritaires au Sénat, en plus de la Chambre des représentants, finissent par adopter en février un projet de loi en faveur de la construction de l’oléoduc, promesse, selon eux, de la création de milliers d’emplois (pendant les deux années de construction). M. Obama le bloque par son veto. Les mois passent. Redoutant un rejet imminent, TransCanada demande à la surprise générale, le 2 novembre, une pause dans l’étude du département d’Etat. Le consortium a vu juste : le rejet de cette requête précède de quarante-huit heures seulement l’annonce du refus.
Vendredi, M. Obama s’est étonné de la dimension symbolique prise par un projet qui n’était, selon lui, ni « l’occasion unique » pour l’économie américaine décrite par ses défenseurs, compte tenu des prix actuellement très bas du pétrole, ni « la voie rapide » pour un « désastre climatique ». Les Etats-Unis, qui consomment toujours plus de pétrole qu’ils n’en produisent, malgré la révolution des huiles de schiste, vont d’ailleurs continuer à importer massivement du pétrole du Canada, devenu en quelques années leur premier fournisseur, loin devant l’Arabie saoudite, le Mexique et le Venezuela. Le refus opposé à Keystone XL ne va pas en effetdissuader les pétroliers présents dans l’Alberta à produire. « Même avec un baril à environ 50 dollars, les installations en place restent rentables. Le prix est actuellement trop faible pour lancer de nouveaux projets, mais il faut plutôt avoir en tête un baril à 70 dollars à moyen et à long terme », estime un expert du secteur s’exprimant sous couvert d’anonymat compte tenu de la consigne de silence en vigueur dans son institution.
L’alternance politique survenue en octobre au Canada a privé Keystone XL de son plus fervent défenseur, le premier ministre battu aux législatives, le conservateur Stephen Harper, qui l’avait placé au cœur de la relation bilatérale. Son successeur, le libéral Justin Trudeau, soutient cependant lui aussi l’exploitation des sables bitumineux. Selon l’expert du pétrole, l’alternative au refus du permis annoncée vendredi devrait passer par la modernisation du réseau américain existant, moins direct, et le recours au chemin de fer, plus lent, plus coûteux, et également risqué pour l’environnement. « Cela pourrait jouer pour environ 70 % de ce qui aurait transité par Keystone », assure-t-il.