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L’ancien président américain Jimmy Carter est mort à l’âge de 100 ans

Écrit par sur décembre 30, 2024

Le 39e président américain, qui a dirigé les Etats-Unis de 1977 à 1981, s’est éteint chez lui en Géorgie à l’âge de 100 ans. Cette figure du Parti démocrate lègue un bilan particulièrement controversé, traversé d’au moins autant d’échecs que de réussites.

Un ancien agriculteur est mort ce dimanche 29 décembre à Plains en Géorgie, a annoncé sa fondation. Il était né dans la même ville il y a un siècle. Dans l’intervalle, James Earl Carter Jr., dit Jimmy Carter, aura délaissé ses cultures d’arachide pour présider les Etats-Unis de 1977 à 1981. Une présidence exercée en pleine guerre froide, au milieu de tourments géopolitiques majeurs, confrontée à une fragilisation de l’économie mondiale, et finalement sanctionnée d’une défaite au moment de briguer une réélection.

Si Jimmy Carter a passé les cinquante années suivantes à travailler dans l’humanitaire, il lègue avant tout à la postérité l’un des mandats présidentiels les plus controversés de l’histoire américaine, entre succès diplomatiques éclatants, déflagrations stratégiques, et échecs politiques cinglants. BFMTV.com revient sur la trajectoire et la carrière d’une personnalité qui aura sans doute moins réussi sa présidence que sa vie d’après.Le nucléaire et le goupillon

Jimmy Carter est un homme simple : l’endroit où il a choisi de s’éteindre entouré des siens est aussi le lieu où tout a commencé. Il voit le jour à Plains, en Géorgie, le 1er octobre 1924, dans une famille d’agriculteurs. D’agriculteurs particulièrement pieux : baptistes pour être précis. Une foi qui est la première trame de son existence et sans doute la principale. “C’était un des facteurs majeurs de sa vie. C’était un homme de foi. Il a même enseigné aux Sunday Schools et ce, jusqu’à récemment”, synthétise auprès de BFMTV.com Amy Porter, porte-parole de l’antenne du Parti démocrate en France. L’historienne Françoise Coste, professeure de civilisation américaine à l’Université Toulouse Jean-Jaurès plussoie: “Son christianisme est une éthique de vie, de charité”.

Mais si Jimmy Carter ne se satisfait pas de la vie terrestre, il ne se tourne pas non plus vers les cieux. Jeune homme, il se dirige plutôt vers la mer et rejoint l’Académie navale en 1943. Il en sort avec les honneurs trois ans plus tard, au moment même où il épouse Rosalynn qui restera sa femme jusqu’à sa mort et lui donne quatre enfants. Il sert alors sept ans comme scientifique à bord des sous-marins nucléaires. “C’est l’un des présidents les plus diplômés à avoir jamais été élus, et dans l’ingénierie nucléaire, le secteur le plus en pointe”, note Françoise Coste.

L’homme du “dégagisme”

La mort de son père en 1953 le ramène sur le chemin du pays natal, où il reprend la ferme familiale et ses champs de cacahuètes. Dix ans plus tard, le quadragénaire démocrate devient sénateur de l’Etat de Géorgie, conservant son fauteuil jusqu’en 1967. En 1970, il s’empare même du poste de gouverneur, fonction qu’il occupe jusqu’en 1975.Son ambition lui fabrique un autre rêve, plus grandiose encore. Il postule alors à la nomination du Parti démocrate à la présidentielle de 1976. On n’attend pas grand-chose de ce provincial que les médias connaissent mal, et qui ne connaît personne à Washington. On a tort. Il l’emporte et devient le 39e président des Etats-Unis. “J’avais 20 ans en 1976, et c’était la première fois que je votais pour le président. J’étais étudiante à Paris, j’ai donc voté par correspondance”, sourit Amy Porter. Jimmy Carter gagne toutefois d’extrême justesse une élection qu’on dit promise au prétendant démocrate, et face à un sortant républicain, Gerald Ford, qui ne convainc pourtant pas grand-monde et se présente très affaibli politiquement.

Si Gerald Ford est si faible et si peu estimé, c’est que non seulement il n’a jamais été élu président, mais ne figurait même pas sur le ticket lors du scrutin précédent. Il a seulement remplacé successivement le vice-président Spiro Agnew puis le président Richard Nixon, acculés l’un après l’autre à la démission à cause de l’affaire du Watergate.

Ce scandale est la première piste pour expliquer la victoire atypique de Jimmy Carter à l’automne 1976, deux ans à peine après qu’il a éclaté. “Il a davantage été élu par rejet de Richard Nixon que par adhésion”, confirme Françoise Coste, qui ajoute: “C’est le dégagisme de l’époque”. Le traumatisme de la guerre du Vietnam, mal refermé par la paix signée en 1975 qui consacre la première défaite militaire de la superpuissance américaine, favorise encore l’ascension de Jimmy Carter. On veut changer d’air, se détourner d’un sérail discrédité. Et dire ainsi sa défiance à Washington.

“Il est un peu sorti de nulle part, c’est-à-dire d’une Géorgie dont tout le monde se fichait à l’époque: c’était le Sud profond, pas connectée aux élites”, dépeint Françoise Coste. Jimmy Carter est d’ailleurs le premier sudiste à parvenir au sommet de l’Etat depuis la défaite des confédérés à l’issue de la guerre de Sécession.

Au-delà de cette question régionale et historique, Jimmy Carter se prévaut d’une qualité supplémentaire aux yeux de l’électorat américain. Ce piètre orateur n’est pas un orgueilleux. “C’est son humilité qui l’a caractérisé toute sa vie”, garantit Amy Porter.

Premiers accrocs

Le charme opère jusqu’à un certain point. Car la réalité politique des Etats-Unis ne cadrant pas tout à fait avec le Monsieur Smith au Sénat de Frank Capra – film dans lequel un élu idéaliste triomphe des vicissitudes du Capitole – la machine Carter ne va pas tarder à se gripper.

“Il n’avait pas les codes, pas de relais dans le Parti. Il avait un côté poisson hors de son bocal, un outsider s’entourant d’outsider… jusqu’à son chef de cabinet qui était son meilleur ami de Géorgie. Or, Washington est une gigantesque machine bureaucratique”, souligne Françoise Coste, autrice notamment de La présidence des États-Unis de Franklin Roosevelt à George W. Bush.

Les relations entre le président et le Congrès sont chaotiques. Et même son parti se bouche un peu le nez, du moins ses caciques. “Il ne s’est jamais bien entendu avec les leaders du Parti au Congrès”, note l’universitaire. La porte-parole des démocrates en France admet elle-même que “tout le monde”, les cadres de sa formation politique compris, “se moquait de lui”, allant jusqu’à l’appeler “the peanut farmer”, soit le producteur de cacahuètes.

Son lien avec son socle électoral se distend lui aussi. Les temps sont troublés, et l’ex-sous-marinier n’est peut-être pas le bon capitaine. Ses concitoyens toisent ce président parfois décrit comme trop analytique, trop humble, voire trop croyant. En effet, la méfiance est telle autour de lui que même son rapport à la religion est mal vu dans certains cercles de ces États-Unis pourtant si chrétiens. «C’est le premier président évangélique revendiqué, donc tenant d’un christianisme de gauche qui a pratiquement disparu aujourd’hui. Et donc ça aussi c’est vu comme plouc», précise Françoise Coste.

Un destin politique scellé à Téhéran

Et à l’extérieur des frontières, le tableau est pour le moins nuancé. Certes, Amy Porter plaide pour qu’on n’oublie ni sa restitution du canal de Panama à celui-ci, et surtout la conclusion des accords de Camp David en 1978, soulignant que “faire la paix entre l’Egypte et Israël n’avait rien d’évident”. Mais la militante démocrate regrette bientôt, comme une concession aux détracteurs de Jimmy Carter: “Mais ne retient que la fin de son mandat”.

La fin de son mandat, c’est essentiellement la révolution islamique qui renverse le régime dictatorial du Shah en Iran pour le remplacer par la férule, au moins aussi violente et autoritaire, de l’ayatollah Khomeiny.

Il y a pire du côté de Téhéran. Après la révolution islamique, 52 civils et diplomates américains se retrouvent cloîtrés dans l’ambassade américaine par une foule d’étudiants partisans de l’ayatollah Khomeiny. La séquestration dure du 4 novembre au 20 janvier 1981. Un dossier qui “ mine de l’intérieur” Jimmy Carter selon Françoise Coste qui juge que “personne n’aurait fait mieux dans la circonstance”.

C’est d’ailleurs son administration qui parvient à un accord permettant la libération des ressortissants américains, et le règlement de cette “crise des otages”. Peu importe: cet élargissement n’est pas mis à son crédit. En effet, Jimmy Carter vient alors d’échouer à prolonger son bail à la Maison Blanche.

“Il a fait une mauvaise présidence, ça a été un président raté à cause des circonstances”, admet Françoise Coste.

Retour à la maison

D’errements en maladresses au plan national, face à une forte inflation, à un chômage qui grimpe, démuni devant une désindustrialisation qui prend un tour sévère et une économie secouée par les chocs pétroliers, Jimmy Carter commence à avoir une tête de mauvais souvenir. Son teint terne, ses cernes qui s’étendent dans un visage qui ne cherche plus à sourire sont raccord avec le (res)sentiment populaire. C’est un sortant essoré qui lance sa campagne de 1980. Et face à lui, le charismatique et optimiste candidat républicain Ronald Reagan. Non seulement celui-ci bat celui-là mais ce n’est pas une défaite. C’est un désastre. Il n’a plus qu’à rentrer chez lui, à Plains.

Dernier clou dans son cercueil politique : les Iraniens poussent le vice jusqu’à libérer leurs otages douze minutes après l’investiture effective de Ronald Reagan. “C’était l’ultime pied-de-nez”, observe Amy Porter. Jimmy Carter peut de toutes façons tomber la montre, car la suite s’annonce longue. Jimmy Carter fait figure de paria et lors de la décennie suivante, on rencontre peu de démocrates pour se réclamer de lui.

L’avantage après un tel camouflet international et un tel signal de l’électorat, c’est qu’on n’a plus de question à se poser. Il ne songera jamais à reconquérir le Bureau ovale, où cet homme simple mais pas exempt de paradoxes et de fascination pour la pop culture des seventies avait fait défiler les rockstars, de son ami Elvis Presley à Bob Dylan, en passant par les Allman Brothers.

Sans regret selon Françoise Coste: “Il avait une vie familiale très épanouie, heureuse avec sa femme, il était nourri par sa foi, en bons termes avec ses enfants. Il n’avait plus besoin de la présidence pour son bonheur”. Tout juste la professeure remarque-t-elle qu’il aurait encore pu faire un très bon secrétaire d’Etat vu son goût pour la diplomatie. “Il a fait des missions diplomatiques pour plusieurs présidences, il s’est notamment rendu en Corée du Nord. Mais il ne faut peut-être pas négliger une chose: il ne cherchait pas de rôle car il n’en voulait pas!” fait valoir Amy Porter.

L’heure de l’humanitaire

Qu’à cela ne tienne, Jimmy Carter s’ouvre à sa manière une fenêtre sur le monde. Au cours des années 1980, il crée la Fondation Carter, qui promeut les droits de l’Homme, puis embrasse la cause de l’ONG Habitat for Humanity, qui construit des logements pour les déshérités. “Les gens se souviendront de son après-présidence remarquable. On peut avoir une opinion négative de son mandat mais personne ne dirait du mal de l’action qui a suivi. Il a réécrit son histoire”, développe Amy Porter.

Des activités que Jimmy Carter mène de front durant les dernières décennies et lui valent une ultime consécration: le prix Nobel de la paix. Cette onction internationale, décernée entre deux guerres du Golfe qu’il désapprouve l’une comme l’autre sans pouvoir bien sûr les empêcher et dans la foulée de l’effondrement des tours jumelles, se couvrirait presque, cependant, d’une patine ironique.

Il puise peut-être sa consolation ailleurs. Ses tournées humanitaires et l’âge avançant – avec son cortège de maladies, d’accidents, de déclin et de remords médiatiques d’une presse qui ne l’a pas épargné avant de s’attacher au personnage – Jimmy Carter regagne une certaine popularité auprès des Américains.”Il s’est réconcilié avec la gauche”, célèbre en premier lieu Amy Porter qui affirme même que ce retour en grâce s’étend au-delà de sa seule famille politique.

“C’était le bon mec au mauvais endroit et au mauvais moment”, soupire Françoise Coste qui retient le souvenir d'”un président malchanceux, maladroit”. “Maladroit parce qu’il n’a jamais admis qu’il n’avait pas les codes et n’a rien fait pour les acquérir”, dit-elle. Mais de saluer: “Un président avant-gardiste, le premier à parler de l’après-pétrole, dès 1979”. “Il avait 40 ans d’avance, c’était son côté ingénieur”, affirme de surcroît l’historienne: “Il a même mis des panneaux solaires sur les toits de la Maison blanche”. “La première décision de Ronald Reagan a d’ailleurs été de les enlever”, ajoute-t-elle.

Middle class

Visionnaire, peut-être, sous certains aspects, Jimmy Carter semble aussi le dernier des Mohicans à d’autres regards. Ainsi, il n’a pas voulu monnayer son séjour à Washington, à capitaliser sur son expérience internationale en facturant des millions de dollars pour quelques conférences.

Il en deviendrait tentant d’en faire le parent pauvre de la politique américaine… “Disons qu’il est resté middle class”, pondère Françoise Coste: “Mais il n’y en a pas beaucoup des présidents américains qui soient restés de la classe moyenne après leur présidence”.

Les Etats-Unis ont donc perdu l’un des représentants de leur classe moyenne, et Plains son plus célèbre producteur de cacahuètes.


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