En ce moment

Titre

Artiste


Le Premier ministre François Bayrou ne lâchera pas la mairie de Pau : une faute politique et morale ?

Écrit par sur décembre 17, 2024

En pleine crise humanitaire à Mayotte et crise politique à Paris pour former un gouvernement, François Bayrou s’est rendu à Pau pour présider un conseil municipal. Polémique.Trois jours. C’est le laps de temps qu’il aura fallu à François Bayrou pour essuyer les premières critiques. Au moment où la crise s’aggrave à Mayotte, après le passage dévastateur du cyclone Chido, et de premières consultations pour constituer un gouvernement avant Noëlle locataire de Matignon s’est rendu à Pau.

L’homme de 73 ans a décidé de rester maire du chef-lieu des Pyrénées-Atlantiques et donc, lundi 16 décembre, de présider le dernier conseil municipal de l’année. Un choix discutable face aux circonstances humaines et politiques, qu’il a tenté de justifier ce mardi 17 décembre devant l’Assemblée nationale.

« Pau, c’est en France », s’est-il défendu. « On n’a pas le droit de séparer la province et le cercle des pouvoirs à Paris ». Dans les textes, rien n’interdit d’ailleurs à François Bayrou d’exercer sa fonction de maire et de Premier ministre. La question est plus politique et morale. Décryptage.Que dit la loi ?

« Les règles juridiques indiquent que cette situation est tout à fait possible », établit Julien Bonnet, professeur de droit public à l’université de Montpellier, à actu.frMaire et Premier ministre : c’est légal.

Cependant, en France, plusieurs lois régissent la vie de nos politiciens. Après l’affaire de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget sous la présidence de François Hollande, les citoyens souhaitent plus de transparence sous la Vᵉ République. « Une culture de la déontologie qui s’est infusée dans notre système », continue Julien Bonnet.La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont le but est de surveiller et de promouvoir la probité des responsables publics, est alors créée en 2013. Et une loi organique est votée en 2014. Cette norme restreint le cumul des mandats des députés et sénateurs. Ils ne peuvent plus exercer d’autres fonctions locales.

Pareil pour les membres du gouvernement, relève Anne-Laure Youhnovski Sagon pour actu.fr. L’article 23 de la Constitution dispose que « les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire », détaille la maîtresse de conférences en droit public à l’université de Lyon 3.

Et pourquoi pas le Premier ministre alors ? « Je ne veux pas de rupture entre la base de la société française et les milieux du pouvoir », a réagi, lors du conseil municipal de Pau, François Bayrou. Il a même qualifié « d’erreur » la volonté de François Hollande de revenir sur le cumul des mandats des députés.

En 2012, la « commission Jospin », au sujet de la rénovation et la déontologie de la vie publique, optait pour le remplacement définitif du ministre et du Premier ministre dans ses fonctions locales. « Ce projet de loi avait été retoqué », indique Anne-Laure Youhnovski Sagon.L’esprit du poste de Premier ministre

François Bayrou roule-t-il à contresens sur l’autoroute de l’esprit du poste de Premier ministre ? Un peu. Dans l’histoire de la Vᵉ République, de nombreux chefs de gouvernement ont démissionné de leurs postes de maire après leur prise de fonction à Matignon.

En 2012, Jean-Marc Ayrault démissionne de son poste de maire de Nantes. En 2017, Édouard Philippe rend son écharpe de maire du Havre lors de sa prise de fonction comme Premier ministre, comme le rapportait notre rédaction 76actu.

« La pratique n’est pas récente, met en évidence Anne-Laure Youhnovski Sagon. Le respect du non-cumul des mandats pour les responsables politiques de l’exécutif s’est aussi observé au XXe siècle. » Ainsi, Lionel Jospin, alors Premier ministre de la « gauche plurielle » entre 1997 et 2002, impose à ses ministres de quitter leurs fonctions locales. Pareil pour Jean-Pierre Raffarin, entre 2002 et 2005, ou encore Dominique de Villepin entre 2005 et 2007.

« À gauche comme à droite, c’est une règle tacite entre le président de la République, le Premier ministre et ses ministres, quitter son poste d’élu local au regard d’une récente nomination au gouvernement, c’est normal », détaille la professeure de droit public.Démissionner, c’est donc d’usage. S’accrocher à son poste de maire, comme semble le faire François Bayrou, pose d’autres questions. « Sur le plan de la séparation des pouvoirs, il y a un risque de placer le Premier ministre en porte-à-faux avec ses fonctions de maire », note Julien Bonnet.

En effet, le conseil municipal de Pau pourrait prendre des décisions contestées par le préfet devant le tribunal administratif. Pourtant, et la mairie de Pau et le préfet sont tous deux soumis à l’autorité de François Bayrou. « Rien que pour cette raison, il serait sage de mettre ses fonctions de maire entre parenthèses », termine le professeur de droit constitutionnel.