Doliprane, Lysopaïne et Maalox bientôt sous pavillon américain
Écrit par Jonathan PIRIOU sur octobre 11, 2024
Le laboratoire français a choisi d’ouvrir des négociations exclusives avec le fonds américain CD&R pour la cession «50% ou plus» de sa filiale Opella.
Le Doliprane sera finalement américain. Jeudi, le conseil d’administration de Sanofi s’est réuni pour décider qui, du français PAI allié à d’autres fonds étrangers ou de l’américain CD&R, rachèterait une partie de sa division dédiée à la santé grand public. Le laboratoire français a confirmé vendredi matin être entré en négociations avec CD&R pour lui céder une part majoritaire d’Opella. Selon Les Echos, le fonds offrirait une valorisation de 15,5 milliards d’euros pour cette entité qui commercialise également le Dulcolax, la Lysopaïne, ou le Maalox, représente 12% du chiffre d’affaires actuel de Sanofi et emploie 11.000 salariés.
Depuis plusieurs semaines, chaque camp affûtait ses arguments pour emporter ce duel serré. Selon plusieurs sources, le prix n’aurait pas été discriminant, les deux candidats ayant formulé des offres très proches sur le plan financier. «C’est le reste de la proposition, le projet, qui a fait la différence», explique une source proche du dossier. Le Français PAI jouait la carte tricolore. Mais plus petit que CD&R, il avait dû s’allier aux fonds souverains d’Abu Dhabi et de Singapour pour croquer un si gros morceau.
Le gouvernement n’a pas attendu l’annonce officielle de Sanofi, vendredi vendredi matin, pour réagir. Dès jeudi soir, le cabinet du ministre délégué à l’Industrie, Marc Ferracci, estimait que CD&R «est un fonds d’investissement sérieux qui présente des perspectives positives pour le développement global d’Opella ainsi que pour les sites implantés en France». En France, le fonds américain a par le passé investi dans Conforama, alors en difficultés, Rexel ou Spie.
Des engagements de la part de CD&R
Si la France ne représente que 10% des ventes d’Opella, la présence du Doliprane dans son portefeuille en fait un totem français. À plusieurs reprises et encore jeudi soir, le gouvernement a précisé qu’il resterait vigilant à l’empreinte industrielle de l’entreprise, le Doliprane étant produit dans l’Hexagone. Il dispose d’outils, dans le cadre du contrôle des investissements étrangers, pour s’en assurer. «Un certain nombre d’engagements économiques seront exigés de la part de Sanofi et du futur repreneur CD&R, explique-t-il. Ceux-ci visent en particulier à garantir le maintien du siège et des centres de décisions sur le territoire national, et à préserver l’empreinte industrielle d’Opella». L’entreprise exploite 13 sites de production dans le monde, dont deux en France.
Mais à l’inverse du cas Biogaran, leader des médicaments génériques en France que Servier envisageait de céder à un acteur indien, le ministère de l’Industrie ne semble pas avoir l’intention de contrecarrer l’opération. Les deux dossiers sont en effet bien différents : la cession de Biogaran comportait le risque de voir la production de médicaments essentiels délocalisée : le champion français des génériques les fait pour l’essentiel fabriquer en Europe auprès de sous-traitants dont les contrats sont facilement résiliables. En France, une trentaine dépendent de ses commandes.
Opella et ses médicaments vendus sans ordonnance présentent un tout autre profil, qui expliquent la réaction plus clémente du gouvernement. Le portefeuille ne comprend que quatre médicaments jugés stratégiques et 90 millions d’euros d’investissements ont été consentis ces cinq dernières années dans l’appareil productif en France, le deuxième marché d’Opella.
Aux yeux de l’Exécutif, la décision de Sanofi «ne remet donc en question ni la production en France du Doliprane ou des autres médicaments essentiels produits par Opella en France, ni l’approvisionnement du marché français». Le dossier est malgré tout suivi de près à l’Élysée. Alexis Kohler, son secrétaire général, a reçu les deux candidats la semaine dernière.
Ce projet de cession ne remet en question ni la production en France du Doliprane ou des autres médicaments essentiels produits par Opella sur notre territoire, ni l’approvisionnement du marché en ces médicaments. »Marc Ferracci, ministre français en charge de l’Industrie
Sanofi a annoncé il y a un an son intention de se séparer de cette division santé grand public – un mouvement qu’ont déjà réalisé la plupart de ses concurrents. Pfizer et GSK se sont ainsi séparés d’Haleon, désormais coté en Bourse, et Johnson & Johnson de ce qui est aujourd’hui Kenvue (Neutrogena, Aveeno et Listerine…).
L’objectif de Sanofi comme de ses concurrents est de pouvoir se concentrer sur le développement de médicaments innovants, une activité très différente de la santé grand public, plus proche de l’univers de la grande consommation. La directrice générale d’Opella, Julie Van Ongevalle, a d’ailleurs longtemps travaillé chez Estée Lauder.
Depuis son arrivée, elle a su redresser Opella qui perdait encore des parts de marchés en 2020. Avec un chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros, en hausse de 4,8% en 2023, le pôle de santé grand public de Sanofi est aujourd’hui le numéro trois mondial du secteur – certes très éclaté – derrière Haleon et Kenvue.
Ces dernières années, le portefeuille de marques a été dépoussiéré. 55% des marques ont été élaguées. Opella a concentré ses efforts et ses investissements sur 15 grandes marques qui représentent aujourd’hui 80% du chiffre d’affaires. Le Doliprane est la deuxième marque du groupe, mais il n’est que peu connu à l’étranger. Le portefeuille s’est enrichi l’année dernière de l’acquisition de Qunol sur le segment très porteur des compléments alimentaires. Avec cet ajout, Opella réalise un quart de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, son premier marché.