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En remportant le Grand Chelem contre l’Angleterre, l’équipe de France est entrée dans l’ère des mutants

Écrit par sur mars 20, 2022

L’espace d’un moment, samedi soir, trop court mais tellement intense, les tracas, les fracas voisins se sont un peu estompés. Juste un instant, le temps de respirer, de savourer. Une parenthèse d’allégresse dans cette époque dingue, une communion hystérique entre une public et vingt-trois garçons qui venaient d’offrir à la France le dixième Grand Chelem de son histoire (après 1968, 1977, 1981, 1987, 1997, 1998, 2002, 2004, 2010). Le chiffre est symbolique, bien sûr. Sa conception appartient à un métal différent de tous les précédents.10Le nombre de grands chelems remportés par l’équipe de France dans le Tournoi. Six dans la version à cinq nations (1968, 1977, 1981, 1987, 1997, 1998) et quatre depuis l’intégration de l’Italie en 2000 (2002, 2004, 2010, 2022).

Cette équipe de France n’est l’héritière d’aucune autre. Elle diffuse une toute puissance qu’on ne lui avait pas connue ou si rarement dans le passé. En tout cas jamais avec cette récurrence : d’un match sur l’autre, d’une mi-temps à celle d’après, d’une action à la suivante. Cette régularité dans l’intensité, la volonté acharnée de remplir sa tâche, tomber, se relever, repartir.La première période tricolore fut d’une fureur sublime, animée de cette conviction que ce qui lui était promis depuis le début de ce Tournoi ne lui échapperait pas. Les avants français sont rentrés dans la rencontre dans une transe qui évoqua immédiatement celle du test face à la Nouvelle-Zélande (40-25) en novembre dernier. Dans le jeu direct, Julien Marchand, Anthony Jelonch et consorts dominaient chaque impact, plaçant la défense adverse en permanence sur ses talons bancales et à portée de sanctions.

C’est bien entendu au sol, là où l’Angleterre savait parfaitement qu’elle y jouerait son destin, que les Bleus ont encore fait une différence monstre (6 ballons gagnés), émasculant les poussives intentions adverses du premier acte. Leur surprenant entêtement à se dépoiler de leurs maigres munitions dans une stratégie de harcèlement sol-air globalement stérile, comme sur cette chandelle de Marcus Smith que Freddie Steward récupérait sur les 22 mètres français (26e). Maro Itoje, en relayeur, tergiversait derrière son ruck. Chassé par Antoine Dupont, le deuxième-ligne anglais perdait la possession et son équipe se retrouvait dans ses trente mètres. Écoeurant.

Des Bleus concentrés sur leur mission, attendant une ouverture

Les Bleus, fidèles à tout ce qu’ils ont étalé depuis neuf semaines, restaient concentrés sur leur mission, attendant patiemment une ouverture. La première brèche est apparue au quart d’heure de jeu sur une action où le pack tricolore conjuguait puissance, agilité et changement de rythme avec la même souplesse. À ce moment-là, Gabin Villière choisit de se mêler à la fête. L’ailier toulonnais endormait la défense adverse d’une petite feinte de passe au coeur du trafic, donnait après contact pour Cameron Woki qui retrouvait de l’avancée.Derrière, nouveau coup de boule de devinez qui ? Villière, évidemment, pour une libération rapide vers Romain Ntamack. L’ouvreur bleu, du bout de ses doigts de couturière, décalait Gaël Fickou à 20 mètres de là, dans le couloir droit, après rebond, pour le premier essai de la soirée. Et sans un petit déchet crispant (trois en-avant sur des occasions réelles) que l’on attribuera à l’adrénaline du soir, la France se serait offert un confort encore plus grand à la pause. Heureusement, juste avant de regagner le vestiaire, François Cros pénétrait une nouvelle fois l’en-but anglais derrière un mouvement d’une maestria dont on ne se lassera jamais et deux jolis gestes techniques de Cyril Baille puis Dupont (18-6).Les Anglais ont eu beau revenir autrement lunés sur la pelouse en seconde période, ils n’allaient franchement rien bouleverser. Ils portaient plus le ballon, arrêtaient de systématiquement s’en débarrasser, offraient de la variété dans leurs courses et posaient enfin des problèmes jamais entrevus en première période. Steward finissait même par marquer (48e, 18-13) pour se payer un espoir de courte durée, mais le flegme était en face.