Cotta : la victoire de Cambadélis a un prix
Écrit par Jonathan PIRIOU sur mai 22, 2015
La motion de Jean-Christophe Cambadélis fait mieux que prévu. Mais, pour remporter cette victoire, le premier secrétaire a multiplié les petits arrangements.Les militants ont voté. Ils ont voté pour l’unité du parti. Pas de gaité de cœur pour la plupart d’entre eux. Mais enfin, ils l’ont fait. Le congrès socialiste s’annonce désormais sans surprise. Depuis de longs jours déjà, Jean-Christophe Cambadélis faisait ses comptes. Il n’a pas son pareil pour cela. L’énoncé du problème était assez simple : étant donné qu’en 2012 la motion majoritaire avait obtenu 68 % des voix et que Benoît Hamon lui avait apporté celles de son courant, 14 %, à quel nombre de voix au maximum Cambadélis (et avec lui le gouvernement puisque nombre de ministres, dont le Premier, avaient signé la motion présentée par l’actuel premier secrétaire du PS) pouvait-il s’attendre ? Réponse : entre 51 et 55 %. Les militants lui ont donné la réponse jeudi soir : il est largement au-dessus de la fourchette.
Sa victoire, car c’est la sienne essentiellement, il la doit à son art, consommé depuis longtemps, à son habileté au sein d’un Parti socialiste qu’il connaît comme sa poche. L’argument massue a été l’unité. Une unité qui manque singulièrement au groupe parlementaire socialiste, qui a fait des "frondeurs" l’axe des débats politiques au Parlement depuis de longs mois. Cambadélis et les signataires de la motion A n’ont pas eu beaucoup de mal à souligner auprès des troupes socialistes les dangers de la division : les résultats obtenus par le PS aux différentes élections nationales ou régionales suffisent pour montrer qu’il n’y a pas loin, pour le PS, de la division à la tombe. Manifestement, cela a été dans le vote, et le débat avant le vote, l’argument essentiel. Car chacun pouvait imaginer le tremblement de terre qu’aurait représenté une victoire des "frondeurs" : la remise en cause aurait dépassé de loin le cadre du PS, elle aurait atteint le Premier ministre, bien sûr, mais au-delà le président de la République. À deux ans de la présidentielle, sa candidature même, pour 2017, aurait été menacée. Même si le score des frondeurs tourne autour de 30 % – ce qui est néanmoins, dans l’histoire du PS, le chiffre le plus haut jamais atteint par une motion rédigée par la gauche de la gauche -, Jean-Christophe Cambadélis peut savourer sa victoire. Il n’en espérait pas autant lorsqu’il a été désigné, le 15 avril 2014, à la tête d’un Parti socialiste très affaibli.
Un peu d'eau dans le vin gouvernemental
Le moyen, cela a été des heures et des heures de négociations entre le numéro un du PS et Manuel Valls, ou les siens, à qui il a fait admettre qu’il fallait mettre un peu d’eau dans le vin gouvernemental si on voulait que les socialistes le boivent : ainsi du travail du dimanche dont il a souligné dans la motion majoritaire qu’il devait rester limité, après qu’Emmanuel Macron se fut battu pendant des semaines pour le faire voter par l’Assemblée nationale. Ou sur les impôts prélevés à la source, dont ne voulait pas entendre parler Bercy. À ces ambiguïtés près, censées souligner la marge de manœuvre du parti par rapport au gouvernement, le texte de sa motion reprend le plus souvent le credo gouvernemental sur le crédit CICE, par exemple.
Pourtant, la réussite de Cambadélis, au-delà des arguments et des tactiques, tient à un coup de maître : celui d’amener Martine Aubry, un temps la madone des contestataires, à signer sa motion A. Cela lui a pris des semaines : "Martine, disait-il quelques jours avant que celle-ci ne le rejoigne, je la connais bien, j’ai longtemps travaillé avec elle. Je sais qu’il faut la respecter. La respecter, c’est débattre avec elle sur le fond."
Du coup, c’est le stylo à la main, discutant ligne à ligne pendant des heures la première ébauche de la motion Cambadélis, que la maire de Lille et le premier secrétaire ont ensemble coché des phrases, échangé des idées, retiré des mots, en ont ajouté d’autres pour parvenir à un texte commun. Lequel a été une douche froide pour les signataires de la motion B, conduits par Christian Paul, qui n’avaient pas vu venir le coup.
Le problème des frondeurs n’est pas terminé
Reste que, même si le congrès de Poitiers est assuré pour Cambadélis et ses alliés au gouvernement, le problème des frondeurs n’est pas terminé. Ils n’ont pas été laminés. Ils ont recueilli assez de suffrages pour continuer de faire parler d’eux. Nul doute qu’ils se feront entendre à l’intérieur du parti.
Pourtant, le plus important pour la campagne présidentielle à venir tient à la médiocre mobilisation des militants socialistes : 55 % d’entre eux seulement sont allés voter jeudi soir, ce qui traduit pour le moins un certain désintérêt de la part des 45 % restants à l’égard du débat. Si on ajoute que le PS connaît aujourd’hui une hémorragie de ses adhérents, on comprend que le vote de jeudi n’est qu’un point de départ : Cambadélis a du pain sur la planche s’il veut gagner des militants, les mobiliser davantage, arriver à dominer ses adversaires au sein du parti et gagner à lui d’autres partisans de la gauche en dehors du PS. Quant à François Hollande, qui connaît comme sa poche la carte du PS, il mesure mieux que personne le chemin qu'il lui reste à parcourir avant 2017. Il a évité hier soir le pire : voir le premier secrétaire qu’il a imposé lui-même à la tête du parti et son Premier ministre ne pas atteindre la majorité. C’était nécessaire, ce n’est pas suffisant.