Covid-19 : on vous explique à quoi correspond un couvre-feu sanitaire
Écrit par Jonathan PIRIOU sur octobre 14, 2020
Un électrochoc ? Emmanuel Macron pourrait annoncer aux Français, dans la soirée du mercredi 14 octobre, de nouvelles mesures contraignantes pour lutter contre la deuxième vague d’épidémie de coronavirus en France. Parmi les mesures envisagées par l’exécutif, des couvre-feux pourraient être instaurés dans les zones placées en alerte maximale.
A quoi correspond une telle décision ? Qui la prend ? A-t-elle déjà été appliquée en France et à l’étranger ? A-t-elle porté ses fruits dans la lutte contre l’épidémie? Eléments de réponse.
Qu’est-ce qu’un couvre-feu ?
Un couvre-feu n’est pas un terme juridique. Cette expression définit l’interdiction faite à la population d’une zone géographique – un pays, un département ou une ville – de circuler librement dans l’espace public durant une période déterminée, le plus souvent le soir, la nuit et au petit matin. Il peut être décrété pour une urgence sanitaire, à l’instar de l’épidémie de Covid-19, ou pour un trouble à l’ordre public. Mais l’instauration d’un couvre-feu reste rarissime en temps de paix. La loi n° 55-385 du 3 avril 1955, procédure qui permet aux préfets d’instaurer un couvre-feu pour enrayer les violences urbaines, avait ainsi été votée pour permettre de déclarer l’état d’urgence pendant la guerre d’Algérie.
Qui peut l’appliquer ?
Plusieurs acteurs. Les maires peuvent prendre des arrêtés municipaux pour instaurer un couvre-feu dans leur commune au nom de l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales, qui confère à la police municipale le rôle d’assurer “le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques”. Mais de tels arrêtés peuvent être contestés au nom de la libre circulation des personnes, comme cela a été le cas à Nice et Béziers en mars 2020. En effet, la lutte contre la crise sanitaire relève d’une police spéciale dévolue à l’Etat et à son représentant dans le département, le préfet, rappelle La Gazette des communes.
L’article L.3131-1 du Code de santé civile, modifié par la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, confie ainsi au ministre de la Santé de prescrire “toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population”. Le ministre de la Santé peut habiliter les préfets, qui représentent de l’Etat, à prendre toutes les mesures liées à l’instauration d’un couvre-feu, en en informant le procureur de la République.
“Bien souvent, un arrêté préfectoral est couplé avec un arrêté municipal : le maire considère que l’arrêté préfectoral n’est pas suffisant et décide d’en remettre une couche”,observe toutefois le juriste Thierry Vallat dans Le Figaro.
Y a-t-il déjà eu des couvre-feux en France ?
Oui, en 2005, au moment des émeutes urbaines dans plusieurs banlieues françaises. Et au printemps 2020, pour endiguer la première vague de l’épidémie de coronavirus dans le pays. Plus d’une centaine de villes en France métropolitaine avaient imposé, par arrêté municipal ou préfectoral, des restrictions horaires à leurs habitants. Dans la majeure partie des cas, les habitants des villes concernées ne pouvaient pas circuler en ville entre 22 heures et 5 heures du matin. Certaines villes imposaient même un couvre-feu dès 20 heures.
Comme lors du confinement, des attestations de déplacements dérogatoires permettaient de contourner le couvre-feu sur présentation de justificatifs. Par exemple, les trajets entre le domicile et le travail étaient autorisés, ainsi que les déplacements pour motif de santé ou pour motif familial. En ce qui concerne le contrôle de ces mesures par la police, les amendes variaient d’une contravention de première classe (38 euros) pour les arrêtés pris par les maires à une contravention de quatrième classe (amende forfaitaire) pour les arrêtés préfectoraux.
Et depuis fin mars, c’est tout un département, la Guyane, qui expérimente, selon des modalités variables, le couvre-feu. Le préfet avait décidé pour la première fois le 11 mai, dès la sortie du confinement, un couvre-feu de 23 heures à 5 heures. Mais il avait été devancé de facto par la maire de Cayenne, Marie-Laure Phinéra-Horth, qui, dès le 24 mars, avait interdit la circulation entre 20 heures et 6 heures dans sa ville. Pendant plusieurs semaines, des dizaines d’arrêtés successifs ont été pris, avec des couvre-feux à 19 heures, puis 17 heures, avec interdiction de circuler le samedi après-midi et le dimanche. Le dispositif a été progressivement assoupli avec le ralentissement de l’épidémie : l’interdiction de déplacement s’étend désormais de minuit à 5 heures du matin du lundi au dimanche, dans 16 communes du département.
Et à l’étranger ?
D’autres pays ont mis en place un couvre-feu pour lutter contre l’épidémie. Cela a été le cas en Australie, à Melbourne, où les habitants devaient rester chez eux entre 20 heures et 5 heures du matin (cette mesure a été levée le 28 septembre). Et dans la province d’Anvers, en Belgique, les habitants ont dû respecter un couvre-feu de 23h30 à 6 heures (la mesure a été levée le 26 août). En Tunisie, dans le Grand Tunis, le couvre-feu est à nouveau instauré depuis le jeudi 8 octobre et pour quinze jours. Les habitants ne peuvent pas se déplacer de 21 heures à 5 heures du matin en semaine et de 19 heures à 5 heures du matin le week-end.
L’Allemagne a opté pour une solution alternative : les habitants des grandes villes, comme Berlin ou Cologne, ne sont pas obligés de rester chez eux après une certaine heure. Néanmoins, les restaurants, les bars et tous les commerces (sauf les pharmacies et les stations-service) doivent fermer entre 23 heures et 6 heures du matin. Francfort a même réduit l’heure de fermeture des commerces à 22 heures.
Idem au Royaume-Uni, où le Premier ministre Boris Johnson a imposé lundi, dans certaines régions, la fermeture des pubs. En Espagne, la Catalogne a pris la décision mercredi de fermer bars et restaurants pendant quinze jours.
Cette mesure est-elle efficace ?
Peu de données sont disponibles sur le sujet, notamment à l’étranger. Mais pour l’entourage d’Emmanuel Macron, “la différence du nombre de morts se chiffre par dizaine de milliers selon les choix qui seront faits. Y compris l’horaire d’un couvre-feu compte : une heure change la donne”. En Guyane, le couvre-feu a porté ses fruits. Selon une étude prépubliée lundi, à laquelle l’Institut Pasteur a contribué, et que Libération a relayée, le couvre-feu a permis de réduire de 36% le taux de transmission du virus.
“Du fait du couvre-feu, nous avons bénéficié d’une réduction de moitié du pic d’hospitalisations en réanimation”, a ainsi expliqué Clara de Bort, directrice de l’Agence régionale de santé de Guyane, sur franceinfo. Sans fournir de chiffres, le maire de Compiègne a également estimé sur franceinfo que “le couvre-feu a été un outil utile”. Philippe Marini (LR) l’avait instauré dès le 23 mars, entre 22h30 et 5 heures du matin. Et de justifier : “Si c’est le moyen d’éviter un reconfinement, la limitation des transports, une nouvelle rupture dans l’activité économique, alors je pense que le couvre-feu, c’est une bonne discipline.”