Le Labyrinthe du silence” : l’Allemagne face à son passé
Écrit par Jonathan PIRIOU sur avril 29, 2015
Personne ne savait ? Non, personne. Les yeux fermés, les oreilles bouchées, le cœur sourd, les Allemands ne connaissaient pas le terrible mot : Auschwitz. Dans les années 1950, le silence et la honte, la conscience d'avoir été "aux ordres", aussi, jouaient.
Le film de Giulio Ricciarelli revient, avec force et émotion, sur cette période où l'Allemagne, se sentant injustement écartelée entre deux Etats, est confrontée à ce passé barbare : au nom du peuple allemand, en cinq années, plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants ont été exterminés dans ce camp, en Pologne. S'inspirant de faits réels, le réalisateur (dont c'est le premier film) imagine un jeune procureur, Radmann, qui entame une longue marche judiciaire contre un homme identifié comme l'un des membres de la Kommandantur d'Auschwitz. Ce SS, en 1958, est instituteur. L'un des pires assassins nazis est ainsi responsable de l'éducation de petits enfants…
Peu à peu, malgré l'opposition de sa hiérarchie, Radmann va constituer le dossier. On lui impose de se taire ? Il parle. On le menace ? Il s'entête. Le procès aura lieu d'octobre 1963 à août 1965. Pour la première fois, l'Allemagne est mise face à son passé, officiellement. Pas d'effets de manches, pas de volutes de caméra, le film est passionnant dans sa progression dramatique progressive. Noyé dans les archives, stupéfait par la banalité du mal, confronté à l'horreur absolue, Radmann est le frère du Rieux de "la Peste" : un homme, rien qu'un homme, mais un homme debout.
Absurde mais réel
Discrètement le film pose des questions essentielles : où passe la frontière entre le refus et l'obéissance ? Un Etat peut-il survivre sur un mensonge ? La jeune génération doit-elle savoir qu'elle est issue d'une génération de salauds ?Rien de théorique là-dedans. L'un des trois procureurs de l'époque, Gerhard Wiese, a supervisé le scénario. Les SS du camp étaient devenus crémier, dentiste, maraîcher, photographe, après la guerre. Stupéfaits, ils se sont retrouvés accusés. Mais de quoi ? D'avoir gazé des cafards, des nuisibles, des sous-hommes ? Absurde ! Absurde, oui, mais réel.
Le film, réalisé avec passion et conviction, retrace ce moment décisif où les assassins doivent payer le prix. Auschwitz, aujourd'hui, est le symbole de l'abjection la plus noire. La terre, l'air, les nuages d'Auschwitz sont imprégnés des cendres des morts. Et ces cendres tombent, sans fin, sur la conscience des vivants.
François Forestier
"Le Labyrinthe du silence", par Giulio Ricciarelli. Drame allemand, avec Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht (2h03).