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Deux archives nous replongent dans le confinement, il y a 300 ans, lors de la dernière épidémie de peste en France

Écrit par sur avril 26, 2020

  • Deux archives datées de 1720 et 1721, exhumés par des généalogistes, témoignent de la manière dont la France a géré la dernière grande épidémie de peste.
  • L’historien Patrice Bourdelais, spécialiste des épidémies, explique les différences et les ressemblances des méthodes, à 300 ans d’écart.

Ce sont deux documents d’archives qui datent de 300 ans. Et pourtant, ils font écho de façon surprenante à la situation de confinement et de lutte contre le coronavirus que vit actuellement la France.

Le premier est un « passeport de santé » daté de 1720 (voir la photo ci-dessous), en pleine période de peste. Le second, édité un an plus tard en 1721, rassemble les instructions générales envoyées depuis Paris pour juguler la propagation de ce fléau dans les « lieux attaqués de la maladie contagieuse ». A trois siècles d’écart, on s’aperçoit que certaines méthodes ont évolué, mais d’autres non. Interrogé par 20 Minutes, l’historien des épidémies, Patrice Bourdelais, nous aide à y voir plus clair.

a peste de 1720-1722, dite « de Marseille »

En mai 1720, un bateau de commerce transportant des étoffes de coton du Moyen-Orient accoste à Marseille. Longtemps, ce navire a été accusé d’avoir importé la peste dans le sud de la France. En 2016, des études génétiques sur le bacille infectieux ont émis une autre hypothèse : une résurgence de la «peste noire» qui avait décimé la moitié de l’Europe au XIVe siècle.

Quoi qu’il en soit, cette épidémie a duré plus de deux ans. Elle a tué près de la moitié des 85.000 habitants de Marseille et fait entre 90.000 et 120.000 morts en Provence et Languedoc, selon les estimations. « Il s’agit de la dernière grande peste d’Europe occidentale, souligne Patrice Bourdelais. A l’époque, la population avait une grande expérience de ces épisodes épidémiques qui survenaient tous les 5 à 10 ans. L’alerte était forte. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. »

L’efficacité du cordon sanitaire

Exhumée des archives de la bibliothèque nationale de France (BNF) par un groupe de généalogistes, une note d’« instructions sur les précautions » à prendre, datée de 1721, expose notamment la manière dont un cordon sanitaire militarisé doit être organisé pour faire blocus autour d’une zone contaminée.

« Le système était très bien rodé avec un cordon sanitaire pouvant rapidement reculer ses lignes de contrôles au fur et à mesure de la progression de la maladie, explique Patrice Bourdelais. On a pu isoler efficacement une partie du territoire en 1720, c’est une grande différence avec aujourd’hui ».

Et l’historien de préciser le dispositif : « Rigueur du blocage grâce à la vigilance sans faille des soldats, organisation de postes afin d’alimenter le lieu, rigueur dans la chasse aux repaires possibles de l’épidémie comme les paillasses, les vêtements ou les étoffes. Car la peste se développe d’abord dans une population de petits rongeurs qui transmettent la maladie à la puce qui pique l’homme et le contamine. »

Ressemblances frappantes

Pour l’historien, la similitude la plus frappante entre les méthodes d’aujourd’hui et celles d’il y a 300 ans, ce sont surtout les trois niveaux de distinction des malades. « L’organisation du placement des malades en trois strates est clairement exprimée dans ce document : les infirmeries pour les malades, des lieux pour les convalescents et d’autres endroits différents – où l’on effectue la quarantaine classique – pour ceux qui ont été en contact avec des malades et sont donc suspects. Cela rappelle des débats actuels sur le confinement général où nous sommes tous devenus suspects. »

Autre ressemblance, le « passeport de santé » évoqué aujourd’hui pour accélérer le déconfinement. En 1720, il s’agissait d’un laissez-passer, différent de l’« autorisation de déplacement dérogatoire » de 2020. « C’est une sorte de certificat de dépistage collectif. Les habitants d’une commune qui n’était pas touchée par l’épidémie pouvaient obtenir une autorisation de circuler. »

Le document montre l’exemple d’un Alexandre, de taille « médiocre » et aux cheveux « châtains », vivant à Remoulins dans le Gard. « La peste sévissant à Avignon, non loin de là, ce qui rendait les habitants du secteur a priori suspects. Le magistrat devait donc délivrer une autorisation pour que la personne puisse se rendre dans un territoire qui n’était pas touché. Visiblement le Tarn, dans ce cas. »

Autre temps, autres mœurs

En revanche, certaines instructions de l’époque peuvent choquer. Illustration avec deux passages du document : « Si quelqu’un de ceux qui ont été consignés vient à s’échapper, ils lui feront casser la tête » ou encore « On doit faire tuer tous les chiens et tous les chats, tant au dedans qu’au dehors du blocus, à une lieue au moins (…). Quoique ces animaux ne prennent pas le mal, ils le communiquent très souvent ».

« La rigueur du traitement réservé à ceux qui essaieraient de traverser les cordons, ainsi qu’à nos animaux domestiques, s’explique par la volonté absolue de limiter les déplacements, et l’observation répétée que ces animaux semblent aussi transmettre la peste, car leurs puces sont responsables de leur malheur », observe Patrice Bourdelais.

L’aide aux démunis

Mais la solidarité existait déjà à l’époque. Ainsi, les « instructions générales » se terminent par ce paragraphe : « Les amendes qu’il faut ordonner souvent pour les contraventions qui ne méritent pas la mort seront appliquées aux pauvres du lieu. Et le meilleur usage qu’on en puisse faire est de les employer à leur acheter des habits, au lieu de ceux qui auront été brûlés ». Effectivement, tous ceux qui ont dû laisser brûler leurs vêtements, voire leur maison, sont secourus par la communauté, la charité et les aumônes. Les œuvres chrétiennes étaient très nombreuses, rappelle l’historien. Et le montant des amendes infligées pour avoir contrevenu à certaines règles peut aussi être mobilisé à cette fin. » Aujourd’hui, on appellerait ça une subvention ou une aide de l’Etat.