Le bilan carbone de la France ne se joue pas ici” : la station de ski de Superbagnères dépassée par la polémique de la neige livrée par hélicoptère
Écrit par Jonathan PIRIOU sur février 20, 2020
Ces gens-là, c’est faites ce que je dis, mais surtout pas ce que je fais !” Au comptoir du Super-G, Jean-Eric Ferré vide son sac devant un journaliste de passage et un touriste venu boire le café en attendant la fin de la leçon de ski de ses enfants. “Notre cher président, quand il va à la Mer de Glace, c’est l’avion, puis 50 bagnoles qui arrivent depuis Paris. La ministre de l’Ecologie, quand elle prend l’avion pour une visite, ça pollue pas peut-être ?” s’emporte le gérant de cet hôtel-restaurant de Superbagnères (Haute-Garonne). On n’ose l’interrompre pour rappeler les vacances d’Elisabeth Borne à Marrakech (Maroc) cet hiver. Pas plus courageux que nous, le client acquiesce et règle sa consommation sans demander son reste.
Cette colère est à la mesure de l’incompréhension du commerçant. En filmant un hélicoptère chargé de neige au-dessus de la station de ski, le 14 février, il ne s’attendait pas à déclencher une polémique nationale. Envoyées à France 3 Occitanie, les images ont vite circulé sur les réseaux sociaux, certains internautes y voyant un symbole de l’absurdité des comportements humains face au changement climatique. Dans un paysage de montagnes nues et alors que le thermomètre affiche 11 °C à 1800 mètres d’altitude en plein hiver, des filets de neige fraîche sont acheminés par l’un des moyens de transport les plus polluants. Restée silencieuse, fin décembre, sur des faits similaires dans les Alpes, la ministre de la Transition écologique et solidaire condamne cette fois-ci l’initiative prise par le syndicat public qui gère la station, reprise en 2017 par le conseil départemental de Haute-Garonne. Le président de ce conseil, Georges Méric, est convoqué jeudi 20 février au ministère
Qu’on ait des critiques, je m’y attendais, mais que cela monte aussi haut…” Christian Mathias est un peu fatigué de devoir encore s’expliquer devant un journaliste. “Cette action a été réfléchie. Je ne me suis pas levé un matin en me disant ‘je vais faire tourner un hélico pour le plaisir’. Nous vivons un hiver particulier et difficile”, expose le directeur de la station. Peu de chutes de neige, des températures trop douces pour activer les canons, un retard dû à des travaux… La station n’a ouvert que le 19 janvier et un mois plus tard, seules six des 28 pistes sont praticables. “L’hiver n’est pas arrivé “, résume Christian Mathias.
“On aurait perdu 80% de la clientèle”
Alors, lorsque le directeur de l’ESF a donné l’alerte, au début des vacances de février, la station a déployé les grands moyens. “J’ai vite vu que les pistes de montée de nos deux téléskis pour débutants ne tiendraient pas”, raconte Michel Pradère, patron de l’école de ski locale depuis 22 ans. Usées par le passage de centaines d’enfants chaque jour, ces deux couloirs menacent d’être rendus à l’herbe, en pleines vacances scolaires de la zone toulousaine. “Si on avait fermé ces pistes, on aurait perdu 80% des gens sur le mois de février, au cœur de notre saison”, poursuit le moniteur.
Décision est prise de faire appel à un hélicoptère pour aller chercher 50 tonnes de neige, un peu plus haut dans la station, sur le pic de Céciré. L’appareil a décollé d’Ancizan (Hautes-Pyrénées), pour deux vols de 55 minutes et 1h03. Montant de la facture : 5000 euros. “Une opération rapide, efficace, décisive”, apprécie Christian Mathias. D’autres rotations étaient prévues, mais la polémique a tout arrêté, selon nos informations. “La ministre commence à convoquer tout le monde. Il y a quand même un petit peu le feu”, euphémise notre source.
Des vacanciers compréhensifs
Derrière le Super-G, deux jeunes enfants s’affairent dans l’herbe autour d’un bonhomme de neige teinté de boue. En contrebas, leurs aînés enchaînent les tours de la piste Baby, au téléski fraîchement enneigé. L’œil rivé sur les débuts de son petit-fils de 9 ans, Emmanuel, 59 ans, savoure. Venu du Val-d’Oise, il a eu peur pour sa semaine de vacances en arrivant à Bagnères-de-Luchon, la ville du fond de la vallée, reliée à la station par des œufs. “Quand j’ai vu qu’il n’y avait pas un brin de neige, je me suis dit, ‘merde'”, confie le Francilien. S’il estime qu’il “vaut mieux ne pas le faire”, il considère que “c’est pas trois tours d’hélico qui vont vraiment ajouter un peu plus de pollution, il ne faut pas abuser”.
Un avis partagé par la majorité des vacanciers rencontrés. L’ESF, qui accueille 1 300 élèves par jour, n’a enregistré que deux annulations, de parents “philosophiquement contre” ces héliportages. “Les gens qui critiquent devraient regarder ce qu’ils consomment”, estime Pierre, un Nantais de 39 ans, en s’en prenant à “ceux qui partent dans les îles”. Christelle, 40 ans, est plus mesurée : “L’info brute, elle choque, avec tout ce qu’on sait sur le réchauffement climatique.” Mais “ils ont juste fait une opération courte, très localisée. Il y a vraiment des choses à remettre en cause avant ça, ça fait quand même travailler des gens”, estime cette mère de famille venue de Touraine.
Les commerçants soulagés
Sa loueuse de ski confirme. “L’hélico, c’est très bien”, pour Sophie Mettayer, propriétaire du magasin Locaskis depuis neuf ans. Entre deux conseils aux quelques clients de son petit commerce, elle raconte une saison “catastrophique”, qui s’ajoute aux difficultés de l’année précédente, marquée par la crise des “gilets jaunes”. “Je ne suis pas sûre d’être encore là l’année prochaine. J’en suis à 90-95% de perte”, calcule-t-elle, la voix nouée. Derrière nous, une grand-mère répète le chiffre à haute voix, médusée. Si elle a “encore envie d’y croire”, Sophie Mettayer envisage déjà un autre métier. “Je suis veuve avec deux enfants, il faut que je travaille”, explique-t-elle.