Les films seront-ils bientôt mis à jour, comme les jeux vidéo ?
Écrit par Jonathan PIRIOU sur février 13, 2020
Sonic, le film » sort après une refonte en panique de son héros, réalisé en 3D. Une première qui pourrait en amener d’autres.
La fourrure est envahissante, la truffe humide, le regard tantôt agressif ou vaseux. On pourrait croire à une peluche-garou à son troisième verre de vodka, mais non, il s’agit en réalité de Sonic, le gentil hérisson bleu de Sega, réinventé pour son adaptation cinématographique Sonic, le film, réalisé par Jeff Fowler. Ou tout du moins, la première version du personnage qui, présentée dans une bande-annonce, a déclenché l’ire des fans sur les réseaux sociaux — et l’activation d’un plan de secours inédit dans l’industrie.
Branle-bas de combat : en trois mois, et alors que le tournage était terminé, les studios en charge des effets spéciaux ont dû entièrement redessiner le hérisson, le remodéliser en 3D, et intégrer sa nouvelle version dans les plans déjà existants. Un tour de passe-passe inédit dont le résultat sort en salles mercredi 12 février en France. En la matière, le savoir-faire est le même dans les deux industries, explique Gilles Langourieux, président de Virtuos, géant de la sous-traitance numérique, qui a travaillé sur les derniers Star Wars, en jeu comme au cinéma : « Un vaisseau spatial en 3D dans un film, c’est pareil que dans un jeu vidéo. Il y a juste plus de polygones, mais c’est la même technologie. » Une des raisons pour lesquelles Ubisoft, géant du secteur, apparaît au générique de Star Wars IX.
Ce rapprochement ne fait que s’accélérer : moins coûteuse et plus maîtrisée qu’à ses débuts, l’utilisation des effets numériques s’est aujourd’hui standardisée au cinéma, et le recours à des expertises et des logiciels issus du jeu vidéo est de plus en plus fréquent. Le tout de façon plus rapide et moins coûteuse qu’il y a encore une décennie.
George Lucas, précurseur isolé
En la matière, l’industrie de la manette a presque deux décennies d’avance. Des yeux de chat du héros dans The Legend of Zelda : Wind Waker en 2001, à l’esthétique postapocalyptique quelconque de Borderlands en 2009, la liste est longue des productions vidéoludiques qui, entre leur première bande-annonce et leur sortie, ont retourné leur chemise, ou au moins leur design, pour satisfaire leur public.
Au cinéma, la pratique du lifting numérique sur une œuvre déjà sortie est bien plus rare. Elle a longtemps été réservée aux rééditions de classiques de la science-fiction, comme Red Dwarf, Star Trek, ou, bien sûr, la première trilogie Star Wars dans les années 1990, avec ses remplacements de décors ou ajouts d’extraterrestres en versions générées par ordinateur, comme Jabba le Hut dans Un nouvel espoir, vingt ans après sa sortie.
La démarche était toutefois différente. « C’était par obsession de mettre à jour ses univers à travers les technologies disponibles. George Lucas était moins dans de la retouche que dans une logique de transposition de l’analogique vers le numérique », recadre Selim Krichane, docteur en études cinématographiques et vidéoludiques à l’université de Lausanne.
Dans le cas de Sonic, le film, la raison est plutôt économique et culturelle, estime le chercheur suisse. « C’est lié aux attentes du public et au poids potentiel des communautés de fans, qui peuvent impacter le résultat commercial du film. »
Un « patch » pour les effets spéciaux de « Cats »
Dans le monde du jeu vidéo, les retouches tardives sont même devenues tellement fréquentes qu’il est courant que voient le jour dans le commerce des titres pas tout à fait achevés. Si le jeu vidéo est précurseur, c’est pour des raisons qui lui sont propres, estime Selim Krichane :
« Un jeu fournit une infinité de trajets ou de possibilités, on ne peut le maîtriser de bout en bout. Si on ajoute les logiques néolibérales de pression sur les équipes, d’hypercharges de travail et de coupes économiques, qui font que des entreprises considèrent les premiers joueurs comme des testeurs, il y a une logique à ce système de mise à jour perpétuelle. » Les synergies liées au numérique — et notamment le travail informatique de postproduction — ont néanmoins rapproché les deux industries. « J’ai terminé hier à 8 heures après trente-six heures d’affilée de travail », expliquait à Variety le réalisateur de Cats, Tom Hooker, le jour de sa présentation au public, sans avoir lui-même vu le résultat final. Et de préciser : « Les personnes assistant à la première seront les premiers à voir le film, et c’est authentiquement une première ! » Transformant de fait les spectateurs en bêta testeurs — en l’occurrence, plusieurs erreurs ont été repérées par ces derniers, notamment une main d’actrice laissée intacte au lieu d’avoir été « félinisée », avant reliffting.