Carlos Ghosn: “Je suis ici pour blanchir mon nom. Les allégations sont fausses, je n’aurais jamais du être arrêté! (…) Je n’avais pas d’autre choix que la fuite pour me protéger et protéger ma famille”
Écrit par Jonathan PIRIOU sur janvier 8, 2020
Le parquet de Tokyo a immédiatement réagi dans la nuit de mercredi à jeudi aux violentes critiques émises par Carlos Ghosn contre la justice japonaise lors de sa conférence de presse au Liban, les jugeant “unilatérales” et “inacceptables”.
“Les allégations du prévenu Ghosn font abstraction de sa propre conduite et ses critiques unilatérales du système de justice pénale du Japon sont totalement inacceptables”, ont écrit les procureurs dans un communiqué mis en ligne, une démarche rare de la part du parquet de Tokyo.
“Le prévenu Ghosn ne peut que s’en prendre à lui-même d’avoir été arrêté et détenu pendant environ 130 jours, tout comme de la nécessité d’imposer des conditions à sa libération sous caution”, ont estimé les procureurs japonais.
Sa fuite du Japon constitue “un mépris flagrant” de la loi japonaise “pour éviter (de subir, NDLR) les conséquences des délits qu’il a commis”, ont-ils ajouté.
La ministre japonaise de la Justice Masako Mori s’est aussi exprimée peu après la conférence de presse de l’ancien patron de Renault et Nissan.
Carlos Ghosn “a critiqué le système judiciaire (japonais, NDLR) sous différents aspects de façon erronée. On ne peut pas arrêter quelqu’un sans un dossier dont la solidité est évaluée de façon indépendante par le juge”, a insisté Mme Mori lors d’un point de presse nocturne retransmis par la chaîne de télévision publique NHK.
“Il est faux de dire que les droits humains ne sont pas respectés” par la justice japonaise, a-t-elle également répété.
Le parquet de Tokyo s’est quant à lui redit “déterminé à se coordonner avec les autorités compétentes et à prendre toutes les mesures nécessaires en (son) pouvoir pour faire comparaître le prévenu Ghosn devant la justice au Japon”.
16h31: CE QU’IL FAUT RETENIR DE LA CONFERENCE DE PRESSE:
L’ancien PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn a dénoncé mercredi un “coup monté” contre lui et s’est dit décidé à “laver son honneur”, lors de sa première apparition publique à Beyrouth depuis sa fuite rocambolesque du Japon, où il est accusé de malversations financières.
Devant un parterre de quelque 150 journalistes méticuleusement choisis par son équipe de communication, le capitaine d’industrie déchu, théâtral et doigt accusateur, l’a proclamé: “présumé coupable” par le système judiciaire japonais dès son arrestation en 2018, il n’avait “d’autre choix” que de fuir face à des accusations “sans fondements”.
“J’étais otage” au Japon, a-t-il ajouté, arguant de son “innocence”.
M. Ghosn, 65 ans, qui fait l’objet de quatre inculpations au Japon, a dénoncé la “collusion, partout” entre le constructeur Nissan et le procureur japonais, particulièrement au sujet de son arrestation, “un coup monté” selon lui alors qu’il s’apprêtait à organiser une fusion entre Renault et Nissan.
“J’ai été arraché à ma famille et mes proches”, a dénoncé, débout et gesticulant, Carlos Ghosn, qui s’exprimait pour la première fois depuis son arrivée surprise le 30 décembre au Liban.
Interpellé en novembre 2018 à la descente de son jet au Japon, l’homme d’affaires, détenteur des nationalités française, libanaise et brésilienne, avait été libéré sous caution en avril 2019, au terme de 130 jours d’incarcération.
Assigné à domicile, il avait interdiction de quitter le Japon dans l’attente de son procès mais aussi de contacter son épouse Carole, visée par un mandat d’arrêt japonais pour “faux témoignage”.
“Je n’ai pas fui la justice, j’ai échappé à l’injustice et à la persécution”, a-t-il martelé en anglais, après un préambule décliné en arabe et en français également –toujours aussi combatif, il a continué à répondre longuement aux questions de la presse après sa prise de parole initiale de près d’une heure.
Durant celle-ci, il a assuré qu’il se présentait devant les médias du monde entier pour “laver son honneur”, tandis que des documents défilaient derrière lui pour soutenir son propos.
Selon lui, ses avocats lui ont dit qu’il risquait d’attendre cinq ans avant le verdict de son procès, une manière pour lui de justifier encore son statut de fugitif.
– Des “millions” de pertes –
M. Ghosn fait l’objet de quatre inculpations au total au Japon: deux pour “abus de confiance aggravé” et deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (aussi poursuivi sur ce volet), notamment des montants qu’il devait toucher après sa retraite estimés par la justice à 9,23 milliards de yens (74 millions d’euros) de 2010 à 2018.
Lors de la conférence de presse, le magnat déchu de l’automobile a promis de fournir des “documents” prouvant son innocence. Depuis le début, M. Ghosn, ses proches et sa défense soutiennent qu’il a été victime d’un “complot” ourdi par Nissan, avec la complicité des autorités japonaises, pour l’écarter de son poste.
Mais, selon lui, son arrestation a grandement desservi l’alliance formée par les géants de l’automobile japonais et français.
“La valorisation de Nissan depuis mon arrestation a baissé de plus de 10 milliards de dollars. Ils ont perdu plus de 40 millions de dollars par jour pendant cette période (…). C’est pas mieux pour Renault, parce que la valorisation de Renault a baissé, depuis mon arrestation, de plus de cinq milliards d’euros, ce qui signifie 20 millions d’euros par jour”, a-t-il avancé.
Depuis novembre 2018, l’action Renault a perdu environ 34% de sa valeur et celle de Nissan environ 38%.
Quelques heures avant la conférence de presse, l’équipe juridique française de M. Ghosn a qualifié l’enquête interne de Nissan de “grosse déformation de la vérité”.
Des procureurs ont tenté mercredi de fouiller les bureaux d’un de ses avocats japonais, Junichiro Hironaka, et de saisir des ordinateurs mais l’accès leur a été refusé, les avocats invoquant la “confidentialité entre un avocat et son client”.
– Prêt à “rester longtemps” au Liban –
S’il a prévenu qu’il n’était pas “là pour raconter comment (il) a fui le Japon”, le récit de cette fuite rocambolesque a tenu en haleine les médias et a suscité l’ouverture d’enquêtes au Japon et en Turquie, où M. Ghosn a fait escale.
Il est soupçonné de s’être enfui en prenant un jet privé à l’aéroport international du Kansai, près d’Osaka (ouest japonais), avec deux complices présumés, de nationalité américaine, selon la télévision japonaise.
Il aurait échappé aux contrôles en se cachant dans un caisson de matériel pour des concerts, selon des médias japonais.
“C’est moi seul qui ai organisé mon départ”, avait-il martelé avant la conférence. Carole Ghosn a elle assuré qu’elle n’était “au courant de rien” concernant la fuite de son mari.
“Je suis prêt à rester à longtemps au Liban”, a déclaré M. Ghosn mercredi.
Ce pays, qui n’a pas d’accord d’extradition avec le Japon, a reçu une demande d’arrestation d’Interpol. M. Ghosn pourrait être entendu par le parquet général, comme l’impose la procédure, selon une source judiciaire. Beyrouth affirme qu’il est entré “légalement” au Liban muni d’un passeport français.
Les autorités japonaises ont dénoncé une évasion “injustifiable”, tandis que le groupe automobile Nissan l’a qualifiée d'”extrêmement regrettable”. Je suis ravie qu’il ait pu s’exprimer”, a simplement déclaré Carole Ghosn, l’épouse de Carlos Ghosn, après la conférence de presse Visé par une notice rouge d’Interpol à la demande du Japon, Carlos Ghosn sera entendu demain par le procureur général du Liban
Carlos Ghosn répond désormais aux questions des journalistes:
“Je ne me considère pas comme prisonnier au Liban. Je suis ici avec ma famille, mes amis, … Je ne me sens pas malheureux ici. Ne pensez pas que j’accepte la situation. Je veux laver mon nom avant toute chose”
“Aucun contrat n’a été signé avec Netflix” concernant sa fuite du Japon, assure également Carlos Ghosn.
“Je ne peux pas parler de ma fuite, car si je le fais je vais exposer beaucoup de personnes à des problèmes. Un jour, peut-être, vous connaîtrez la réalité. Dans vingt ans, je pourrai peut-être confirmer ou infirmer ces informations !”
“Je pourrais me présenter à un procès, n’importe où, du moment qu’il est équitable”, affirme Carlos Ghosn. “J’ai demandé à mes avocats à plusieurs reprises si je pouvais avoir un procès équitable, et même mes avocats ne pouvaient me le garantir. Et d’ajouter: “On allait vers un procès où je n’avais presque aucune chance d’être acquitté. Imaginez vous retrouver dans une situation comme la mienne, où cela peut prendre jusqu’à plus de cinq ans, et qu’après, vous avez 99,4 % de chances d’être inculpé : cela ne vous donnera pas envie de rester au Japon”
“Je pense toujours être un businessman respecté par la population japonaise”
“Transgresser la loi japonaise est un problème, mais le procureur a violé une dizaine de lois japonais, c’est aussi un problème”
“J’ai des droits vis-à-vis de Nissan, j’ai des droits vis-à-vis de Renault, et je compte bien les réclamer en justice”, déclare Carlos Ghosn.
Pris à parti par un reporter nippon, Carlos Ghosn répond: “Je n’ai invité que les médias japonais qui n’ont pas participé à la propagande des procureurs de Tokyo”. Et d’ajouter: “J’irai ensuite voir ceux qui sont dehors pour leur expliquer que je n’ai rien contre eux”.
Carlos Ghosn se sent-il lâché par les autorités françaises ? Il répond: “Comme les autres citoyens français, je ne demande pas à être au-dessus, mais je ne souhaite pas être en dessous de qui que ce soit”
“Le 19 novembre 2018, c’est comme si j’étais décédé. Je ne savais pas si j’allais revoir les gens que j’aime. C’est comme si j’étais mort. Vous vous anesthésiez, c’est votre façon de survivre. Quand j’ai vu que j’étais sorti, c’est comme si quel-part, je revenais à la vie.”
“Si la justice française demande à me parler, je me présenterai à la justice française”, assure Carlos Ghosn.