Star Wars : “Baby Yoda”, BB-8, Jar Jar Binks, les Ewoks… L’ascension magique (et intéressée) des personnages mignons dans la saga
Écrit par Jonathan PIRIOU sur décembre 18, 2019
“Si je n’avais pu être réalisateur, j’aurais sans doute alors fabriqué des jouets”, déclarait le jeune George Lucas dans la revue Positif, en 1977. Quatre décennies plus tard, et alors que le nouvel opus de la saga qu’il a créée, L’Ascension de Skywalker, déboule sur les écrans français mercredi 18 décembre, cette phrase sonne toujours terriblement juste. Car Star Wars, ce n’est pas que l’histoire de la famille Skywalker sur trois générations, mais c’est aussi une formidable galerie de personnages destinés aux plus jeunes, qui n’a pas grand chose à envier à Disney – qui a d’ailleurs cassé sa tirelire en 2012 pour obtenir les droits sur l’univers imaginé par George Lucas. De C3PO à “Baby Yoda”, en passant par Jar Jar Binks et les Ewoks, retour sur quatre décennies de “mignoncité”… pas totalement désintéressée.
La drôlerie des droïdes
Le succès phénoménal de La Guerre des étoiles en 1977 est essentiellement le fait d’adolescents ou de jeunes adultes attirés par le côté fun du space opera de George Lucas. Mais les plus jeunes s’y retrouvent aussi, notamment par le biais des personnages de C3PO et R2D2, deux droïdes qui vivent de façon décalée les péripéties de l’intrigue et destinés à apporter une dose d’humour. Patrice Girod, alors bambin de 10 ans présent dans la salle, en ressort émerveillé. “La production du film a attendu deux ans pour révéler si C3PO était un vrai robot ou s’il y avait un acteur à l’intérieur”, se remémore celui qui a cofondé Lucasfilm Magazine et réalisé plusieurs expositions d’importances sur Star Wars.
George Lucas a toujours eu au fond de lui l’envie de faire du grand divertissement pour les enfants”, poursuit Patrice Girod, qui a rencontré de nombreuses reprises la tête pensante (barbue) de la saga. La 20th Century Fox a eu beau marketer le film en direction des ados, le spectre du public touché est plus large que prévu. La preuve, le fabricant de jouets avec qui a été signé l’accord pour les figurines n’est pas prêt pour Noël, et nombre d’enfants se retrouvent le 25 décembre 1977 avec une boîte vide et un “bon pour” au pied du sapin.
Vous pensiez comme tout le monde que L’Empire contre-attaque n’était pas destiné aux enfants ? Détrompez-vous. “En plus d’être un cinéaste de l’expérimentation qui ose laisser Yoda, qui n’est jamais qu’une marionnette, porter son film, George est un passionné d’éducation, qui n’oublie jamais qu’un enfant se construit entre 8 et 10 ans”, martèle Patrice Girod. Le sous-texte éducatif est omniprésent, en atteste la lecture des commentaires du script par George Lucas himself dans le livre Star Wars: The Annotated Screenplays. Par exemple, le passage où Luke, dont le vaisseau s’est crashé sur la planète Dagobah, cherche un maître Jedi tout en essayant de se débarrasser de Yoda n’est pas anodin. “La leçon pour le héros est d’apprendre à respecter tout le monde, et de faire attention aux personnes qui ne paient pas de mine, car c’est peut-être elles qui détiennent la clé du succès.”
La tentation obscure des marchands de jouets
Arrive Le Retour du Jedi, sorti en 1984. Georges Lucas est conscient que son public a pris six ans et a peut-être eu des enfants. D’où une volonté d’adoucir le propos du dernier épisode. Le titre initial, La Revanche du Jedi, est ainsi modifié par le terme plus neutre de “retour” après un sondage téléphonique. De même, Han Solo, qui devait passer l’arme à gauche, ne meurt plus – “George pensait qu’il n’y avait pas de potentiel pour les jouets à l’effigie d’un Han Solo mort”, persiflera Harrison Ford en 2010. Dans une première mouture du scénario, les Wookies incarnaient ce peuple primitif qui déjoue un retard technologique abyssal pour remporter une improbable victoire militaire contre l’Empire.
Le souci, c’est que le personnage de Chewbacca, qui pilote le Faucon Millenium comme personne et tire plus vite que son ombre pistolaser au poing, risquait de brouiller le message. Va pour les Ewoks, improbable croisement entre Winnie L’Ourson et Thierry La Fronde, et si les enfants s’en amourachent au point de les réclamer comme doudous, ça ne peut pas faire de mal, raconte le journaliste Chris Taylor dans son livre How Star Wars Conquered The Universe.
Les Ewoks, c’est le genre de personnage qui fait entrer le jeune public dans le film.Patrice Girodà franceinfo
Le succès au box-office et dans les magasins de jouets ne se fait pas attendre : George Lucas et ses équipes établissent dès lors la stratégie marketing toujours suivie aujourd’hui par les grandes majors. “Avant, on produisait des produits dérivés mais c’était quasiment à perte, et souvent avec retard par rapport à la sortie du film, uniquement pour continuer à faire vivre l’œuvre auprès du public”, indique Sébastien Durand, spécialiste de pop culture, qui a roulé sa bosse chez Disney. Tout change avec Le Retour du Jedi. “C’est le moment où les marchands de jouets ont pris les commandes de Lucasfilm”, attaque dans le Los Angeles Times Gary Kurtz, producteur des deux premiers volets, qui a quitté le navire Star Wars avant l’épisode VI.
De la rancœur mal placée, estime Patrice Girod : “Jamais George Lucas ne se serait fait imposer quoi que ce soit par les fabricants de jouets Mattel ou Hasbro. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’est piocher dans le catalogue de personnages pour fabriquer des produits dérivés, rien de plus.” Pour preuve, quand le fabricant de jouet Kenner propose à Lucas au milieu des années 1980 une série de dessins animés clé en main pour écouler de nouveaux personnages– juste assez différents pouvoir utiliser les mêmes moules de figurines – et faire vivre la poule aux œufs d’or, elle se voit opposer une fin de non-recevoir, raconte le site Comic Book Ressources. Les Ewoks, eux, connaîtront deux films, de multiples déclinaisons… et même une chanson signée Dorothée pour le public français.
Le bide de Jar Jar Binks
Quinze ans plus tard, les progrès des effets spéciaux incitent Georges Lucas à échafauder sa prélogie, racontant les origines du personnage de Dark Vador. Reste à inclure le jeune public qui n’a peut-être pas vu les premiers films. C’est là qu’intervient le personnage de Jar Jar Binks. L’horripilant Gungan modélisé par ordinateur se voulait un hommage à Dingo et aux pionniers du slapstick comme Buster Keaton, avec des gags visuels à gogo et des tics de langage pour détendre le jeune public entre deux combats de sabre laser.
Selon la légende, c’est le fils adoptif de George Lucas, Jett, qui a trouvé le nom et validé le choix de l’acteur. Las ! En quelques jours, la communauté des fans se déchaîne. L’acteur qui l’incarnait a récemment avoué avoir songé au suicide devant le déferlement de haine sur internet – et encore, les réseaux sociaux n’existaient pas en 1999, date de la sortie de La Menace fantôme.