Commissions d’enquête, précédents, stratégie politique : on vous explique la procédure de destitution initiée contre Donald Trump
Écrit par Jonathan PIRIOU sur septembre 25, 2019
Donald Trump va-t-il être contraint de quitter le bureau ovale en cours de mandat ? Mardi 24 septembre, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, a lancé une enquête en vue d’une procédure d’impeachment (destitution) à l’égard du président américain. Elle s’appuie particulièrement sur les révélations d’une possible collusion avec l’Ukraine.
Donald Trump est fortement soupçonné d’avoir demandé à son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, de relancer deux enquêtes sur la famille de Joe Biden, candidat à l’investiture démocrate qu’il pourrait affronter lors de la présidentielle de novembre 2020. Cette déclaration marque le début d’un bras de fer politique entre démocrates et républicains.
Pourquoi les démocrates ont-ils initié une procédure de destitution ?
Nancy Pelosi a estimé que Donald Trump avait “violé la Constitution” en demandant à un pays tiers d’enquêter sur Joe Biden. Elle a donc demandé la mise en place d’une enquête parlementaire sur le président, qui débouchera ou non sur une procédure d’impeachment.
La procédure de destitution est prévue par l’article 2 de la Constitution américaine. Ses contours juridiques sont flous : elle doit permettre de prendre des sanctions envers un président – ou un vice-président, un membre de cabinet ou un juge fédéral – coupable de “trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs”, sans que cette dernière qualification ne soit précisée.
L’impeachment doit être initié par la Chambre des représentants, qui, avec le Sénat, constitue le Congrès. “Un membre individuel de la Chambre peut introduire une résolution de destitution comme une loi ordinaire, ou la Chambre peut initier cette procédure en passant une résolution autorisant une enquête”, indique le site du Congrès.
Après la requête de Nancy Pelosi, les six commissions de la Chambre basse, qui enquêtent déjà sur Donald Trump, se sont placées dans la perspective d’ouverture de cette procédure : si suffisamment d’éléments sont rassemblés, elles rédigeront des articles de mise en accusation. Ceux-ci seront ensuite soumis au vote en séance plénière. Une majorité sera ensuite requise pour que la Chambre basse valide la procédure de destitution du président.
Une fois que les représentants se seront exprimés, un autre vote devra avoir lieu au Sénat : deux tiers d’avis favorables doivent être retenus pour que l’impeachment ait effectivement lieu.
D’autres présidents ont-ils déjà fait l’objet d’une telle procédure ?
Si les commissions d’enquête valident la procédure de destitution, Donald Trump serait le quatrième président américain à y être soumis. Jusqu’ici, aucun d’entre eux n’a été contraint de quitter la Maison Blanche avant la fin de son mandat pour impeachment, même si l’un d’eux a démissionné pour éviter d’y faire face.
Andrew Johnson a été le premier à voir ses fonctions remises en cause en 1868. Alors que la guerre de Sécession vient de se terminer, le Congrès reproche au président sa politique en faveur des Etats du Sud, qu’il veut rapidement réintégrer dans l’Union. Il démet le secrétaire d’Etat à la Guerre, qui est, lui, un Nordiste convaincu. Le Congrès lance alors une procédure d’impeachment. Andrew Johnson est accusé d’avoir violé la loi qui, à l’époque, empêchait le président de démettre un membre du cabinet dont la nomination avait été soutenue par le Congrès. Sa destitution est validée à l’unanimité par la Chambre des représentants, mais le Sénat le maintient au pouvoir.
Plus récemment, en 1974, Richard Nixon a fait l’objet d’une procédure d’impeachment après le scandale du Watergate. Face à la quasi-certitude que la procédure aboutirait, il démissionne avant même que le vote soit porté au Sénat.
Enfin, Bill Clinton a également été confronté à l’impeachment. Les rebondissements de l’affaire Monica Lewinsky, stagiaire de la Maison Blanche avec laquelle le démocrate a entretenu une “relation inappropriée”, poussent le Congrès à entamer une procédure de destitution en 1998. La procédure passe la Chambre des représentants, mais le Sénat s’y oppose, estimant qu’il s’agit d’un vote politique.
Y a-t-il une réelle possibilité que Trump soit destitué ?
Un tel scénario semble peu probable : la Chambre des représentants (démocrates) devrait se prononcer en faveur de la destitution, mais le Sénat, dont le vote doit valider l’impeachment, est à majorité républicaine. Il y a donc de fortes chances qu’il s’y oppose.
Si quelques parlementaires républicains, comme le sénateur Mitt Romney, ont déjà appelé la Maison Blanche à davantage de transparence, une grande majorité des membres de son parti soutiennent Donald Trump, et le Sénat semble acquis à sa cause. Le chef de la majorité de la Chambre haute, Mitch McConnell, a notamment estimé que Nancy Pelosi démontrait “que la priorité des démocrates de la Chambre n’est pas d’améliorer la vie du peuple américain, mais leur obsession pour la destitution depuis bientôt trois ans”.
Toutefois, le Sénat a voté à l’unanimité, après l’annonce de Nancy Pelosi, une résolution enjoignant l’administration Trump à fournir l’intégralité du rapport du lanceur d’alerte sur le dossier ukrainien. Cette mesure est non contraignante, mais fait état d’un consensus bipartisan sur la question – ce qui est suffisamment rare pour être souligné.
Cette enquête va-t-elle influer sur la politique américaine ?
Cette annonce marque un tournant dans le mandat de Donald Trump : alors que Nancy Pelosi résistait jusqu’alors aux appels de l’aile gauche de son parti en faveur d’une procédure d’impeachment, cette démarche augure une escalade des tensions entre les démocrates et le président.
Donald Trump a, quant à lui, estimé que la procédure tournera à son avantage dans l’opinion. Il a aussi annoncé qu’il fournirait dès ce mercredi – soit au lendemain de l’annonce de l’ouverture d’une enquête – la retranscription complète de l’appel téléphonique du 25 juillet à Volodymyr Zelensky. Il a assuré qu’elle montrerait que l’échange était “irréprochable”.
Par ailleurs, les sondages réalisés sur une éventuelle destitution, notamment lors du Russiagate, montrent qu’une majorité relative des Américains s’opposent à cette procédure. “Alors que le seul objectif des démocrates est de se battre contre Trump, Trump se bat pour vous”, a énoncé le président dans un tweet, accompagné d’une compilation de vidéos dans lesquelles des élus démocrates appellent à sa destitution. Même s’il bénéficie du soutien de l’opinion ou des sénateurs, le spectre d’une destitution risque de flotter sur les primaires démocrates et la présidentielle de 2020.