Pourquoi une centaine de festivals disparaissent-ils cette année en France ?
Écrit par Johan Boulay sur mars 18, 2015
Une centaine de festivals sont supprimés ou annulés cette année en France. D’autres, comme le Midi Festival, peinent à joindre les deux bouts. Des disparitions qui s’expliquent souvent par des coupes budgétaires décidées par les collectivités territoriales.
Depuis son lancement fin janvier, la “cartocrise” alimentée par Emeline Jersol, médiatrice culturelle au Boulon, centre national des arts de la rue situé en périphérie de Valenciennes. ne cesse de faire parler d’elle. Et pour cause: elle recense les suppressions et annulations de manifestations et centres culturels en France. S’il n’y en avait que 48 à ses débuts, 143 points s’affichent désormais sur cette carte de France interactive, sans cesse mise à jour. Parmi eux une centaine de festivals de musique, de théâtre, de danse, de cinéma, comme les Voix du Gaou dans le Var ou le festival de musique classique Consonances à Saint-Nazaire.
Ces suppressions alarmantes sont en majorité la résultante de coupes drastiques survenues dans les subventions publiques, souvent liées à des changements de municipalités. “Un nouveau maire, c’est un nouveau réseau. “Je te sabre parce que tu as soutenu l’autre”” explique dans Le Parisien Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS et auteur du livre Festivals de musiques : un monde en mutation.
Le Midi festival, de Hyères à Toulon
L’exemple-type est bien entendu celui du Midi Festival. La ville de Hyères, où la manifestation avait lieu depuis neuf ans, lui a coupé ses subventions en début d’année. Une rupture de contrat qui intervient un an après l’élection de Jean-Pierre Giran (UMP) à la municipalité. Interrogé par Var-Matin, le nouveau maire avait assuré qu’il ne s’agissait que d’un problème financier: “La collectivité n’a pas vocation à réduire les dettes d’une association qui ne remplit pas ses objectifs. C’est aussi simple que ça. Tout le monde fait des efforts financiers, la mairie, les associations, le contribuable. Je pose la question: qui doit payer pour résorber le déficit du Midi festival?” Pourtant, simple coïncidence ou non, Frédéric Landini figurait en position éligible sur la liste du maire sortant Jacques Politi, face à Jean-Pierre Giran, donc. Malgré tout, le festival, qui avait lancé un appel aux dons en 2014, aura bien lieu, mais à Toulon et au mois de mai.
Pour François Floret, directeur de la Route du Rock à Saint-Malo, “remettre en cause un événement pour des raisons politiciennes est absurde. La culture n’a pas à être politisée“. Si son festival n’a pas subi de baisse de subventions cette année (elles comptent pour 15% du budget global) et n’a jamais reçu “la moindre pression politique“, il assure que d’autres “doivent composer avec le chantage“, ce qui les rend “moins indépendants”. “Malgré tout, dit-il, on ne peut pas à mon avis tout miser sur les subventions. Il faut aller chercher de l’argent privé, et miser sur le mécénat, un système intelligent”.
Les subventions: 10% du budget des Eurockéennes
De la même façon, Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes et co-président de la fédération De Concert!, déplore le fait qu’en période de crise, “la culture soit la variable d’ajustement“. Si Les Eurockéennes ont subi de régulières baisses de subventionnement public ces dernières années, elles ont toujours été compensées par le recours au mécénat et aux fonds privés. Actuellement, les subventions comptent pour 10% du budget soit 700 000 euros sur les 7 millions. Sans elles, estime-t-il, le billet pourrait être augmenté de 10 à 15 euros (le billet à la journée coûte actuellement 46 euros).
Par “variable d’ajustement”, Jean-Paul Roland fait référence à la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales, à hauteur de 11 milliards d’euros sur une période de trois ans (de 2015 à 2017), décidée en novembre dernier. Or, privées d’une partie de leur financement, les collectivités ont souvent tendance à compenser en procédant à des coupes budgétaires au niveau de la culture.
Trop de festivals?
Mais la baisse des subventions n’est pas l’unique facteur fragilisant les festivals. Les équipes doivent faire face à l’explosion des cachets de certains artistes, qui débouche, bien souvent, sur une course à la tête d’affiche. “Il y a un nivellement par l’argent qui est très clair” estime François Floret,” Il ne faut pas pour autant essayer de doper son événement en cherchant à faire un copier-coller des Vieilles Charrues. Il vaut mieux privilégier une démarche artistique.”
Même discours chez Jean-Paul Roland, qui rappelle qu’“on voit fleurir des festivals mais peu de projets artistiques. Il faut se poser la question de son périmètre: tout le monde n’est pas obligé de faire Bruce Springsteen! [programmé pour un million d’euros aux Vieilles Charrues en 2009, ndlr] Et les petits festivals ne doivent pas grossir à tout prix!”.
1425 festivals de musique
Depuis une dizaine d’années, les manifestations culturelles, et surtout musicales, se multiplient en France. En 2013, la Sacem comptabilisait pas moins de 1425 festivals de musiques actuelles répartis sur tout le territoire. Est-ce à dire qu’il y aurait trop de festivals en France? “Il y a une dizaine d’années, tout le monde s’est mis à prendre exemple sur les Vieilles Charrues, qui ont re-dynamisé le territoire de Carhaix.Toutes les communes ont voulu avoir leur événement, mais sans de vrais projets artistiques derrière. C’était souvent de la com’ politique.” analyse François Floret. Bilan: en se multipliant, les festivals sont entrés en concurrence et ont contribué à faire exploser les cachets artistiques.
Dans un compte-rendu de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale datant de 2013, Emmanuel Négrier craignait que
“la sélection naturelle [ne choisisse] pas les meilleurs [festivals] mais plutôt ceux qui se contentent de piocher dans les tournées européennes des artistes et donc de construire une programmation réduite à quelques têtes d’affiche, une programmation sans âme et sans lien avec le territoire – ceux qui attirent des audiences sans travailler des publics”.
Suite à la publication de la “cartocrise” dans les médias, la ministre de la Culture Fleur Pellerin a réaffirmé dans un communiqué que l’Etat était prêt à s’engager auprès des collectivités locales en signant des “pactes” afin d’assurer l’offre culturelle sur leur territoire. L’Etat accompagnera sur une durée de trois ans, de 2015 à 2017, des collectivités en difficulté, qui s’engageront, elles, à ne pas sacrifier leurs équipements culturels. Trois pactes de ce type ont déjà été signés, avec Strasbourg, Clermont-Ferrand et Cambrai.
Source : http://www.lesinrocks.com