Gaulois réfractaires au changement » : un président peut-il critiquer les Français
Écrit par Jonathan PIRIOU sur août 30, 2018
Emmanuel Macron a heurté en parlant des Français comme d'un peuple de « Gaulois réfractaires au changement ». Or, le problème est ailleurs.Le problème avec Emmanuel Macron n'est pas toujours ce qu'il dit, mais ce qu'il provoque. Que les Français soient des « Gaulois réfractaires au changement », propos tenus par lui sur un ton badin, qui peut le nier ? Ne sommes-nous pas des Gaulois ? Une partie importante du discours politique de ces dernières années a consisté à nous expliquer, notamment dans le cadre de ce débat sur l'identité nationale, qu'il était bon de rétablir cette filiation, fût-elle symbolique pour les Français de fraîche date, au nom de la cohésion nationale et de l'inclusion à une même histoire. Ne sommes-nous pas réfractaires au changement ? Soyons un brin approximatifs, tant pis, et faisons confiance, chacun, à nos expériences personnelles : cette résistance au changement se vérifie de la petite à la plus grande échelle – et pas uniquement en France. On nous répondra qu'une réforme, par exemple, peut être acceptée à la condition qu'elle soit juste. Nous n'entrerons pas ici dans un débat sur la justice, qui souvent se définit selon les intérêts – divergents – de chacun. Et l'on sait une chose : plein est le cimetière des réformes.
Le problème est ailleurs, sauf pour ceux qui sont en mal de polémiques, et Dieu sait si, en ce moment, nous n'en manquons pas. Macron a affirmé maintes fois connaître le peuple dans son historicité anthropologique, mais le connaît-il dans sa réalité contemporaine ? Il dit savoir ses ressorts anciens, sa geste et son imaginaire, mais a-t-il seulement conscience, plus prosaïquement, de ses pulsions actuelles ? Il fut un temps, comme certains l'ont rappelé, où des hommes d'État ne se gênaient pas pour rabrouer les Français. Souvenez-vous du général de Gaulle qui nous qualifiait de « veaux ». Le même, en d'autres termes que ceux de Macron, aimait pointer les contradictions de ce peuple qu'il sommait d'aller de l'avant (« En avant ! »). « Il est tout à fait naturel que l'on ressente la nostalgie de ce qu'était l'Empire, disait-il, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n'est pas de politique qui vaille en dehors des réalités. » Souvenez-vous aussi de Raymond Barre qui n'hésitait pas, en meeting, à regretter l'inculture économique des Français. Souvenez-vous de François Hollande qui affirmait, tout de go, ne pas aimer les riches – qui ne sont pas moins des Français.
Seulement, fort de ces précédents et conscient que l'histoire a conféré au général de Gaulle une légitimité qu'il n'a pas, Emmanuel Macron devrait prendre garde à lui-même, se méfier de ses grandes enjambées lyriques, de cette tentation toujours importante chez lui de montrer qu'il n'a peur de rien, pas même de dire aux siens, dont sa survie électorale dépend, ce qu'il pense d'eux. Depuis son avènement politique, Emmanuel Macron a levé un tabou, celui qui veut qu'on ne doit jamais dire son fait au Français, qu'on l'épargne, qu'on le brosse dans le sens du poil, car ce peuple gaulois est « frondeur, éruptif, régicide » (Sarkozy), mais surtout parce qu'il vote. Macron avait inauguré cette frontalité en 2014 en pointant l'illettrisme d'une partie des salariés de Gad. Les Gaulois et le changement, aujourd'hui, c'est la même chose. Maintenant, la question que l'on se pose est la suivante : le réel va-t-il se venger ?